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femme comme il faut ; maintenant c’était une jolie femme. Elle avait mille choses à demander à l’Anglais nouvellement arrivé de son pays, et le pressait de lui répondre avec un enthousiasme qui ne tarda pas à dissiper la réserve de Hunsden, comme le feu réchauffe une vipère engourdie par la gelée.

J’emploie à dessein cette comparaison peu flatteuse, parce qu’en effet il me sembla voir un serpent s’éveiller de sa torpeur, lorsqu’il redressa lentement sa grande taille, qu’il releva la tête, et que rejetant ses cheveux en arrière, il découvrit son large front saxon, et laissa voir l’éclair d’ironie sauvage que l’ardente curiosité de son interlocutrice allumait dans son regard ; ainsi que Frances, il redevenait lui-même ; et s’adressant à elle d’une voix vibrante :

« Vous comprenez l’anglais ? lui demanda-t-il dans sa propre langue.

— Oui, monsieur.

— Fort bien ; vous allez en entendre. Il faut en vérité que vous n’ayez pas plus de sens qu’un individu que je connais (et il me désigna du geste), pour aimer jusqu’à la rage ce sale pays qu’on appelle Angleterre ; vous êtes folle, par ma foi ! l’anglomanie éclate dans vos yeux tout aussi bien que dans vos discours. Mais, mademoiselle, est-il possible que quiconque possède un atome de sens commun puisse éprouver de l’enthousiasme pour un nom, lorsque surtout il désigne l’Angleterre ? Il y a cinq minutes, je vous prenais pour une abbesse et vous aviez tout mon respect ; je le vois maintenant, vous n’êtes qu’une espèce de sibylle helvétique, ayant des principes de haut torysme et de haute Église.

— Est-ce que l’Angleterre n’est pas votre patrie ?

— Si, mademoiselle.

— Et vous ne l’aimez pas ?