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mes mœurs : elle répondit que j’étais au contraire un jeune homme très-religieux, et demanda à son tour à mon collègue s’il ne pensait pas que j’eusse l’intention d’entrer plus tard dans les ordres : « Car, disait-elle, j’ai eu chez moi de jeunes ministres qui étaient bien loin d’avoir autant de conduite et de douceur que ce bon M. William. » Tim était lui-même un homme pieux, un méthodiste fervent, ce qui ne l’empêchait pas d’être un fieffé coquin, et il s’en alla, tout penaud, raconter à M. Crimsworth le récit qu’on lui avait fait de ma piété exemplaire. Édouard, qui ne mettait jamais les pieds dans une église et qui n’adorait que le veau d’or, se fit une arme contre moi des éloges que m’avait donnés mon hôtesse ; il commença par m’accabler de railleries à mots couverts, dont je ne compris la portée qu’après avoir été informé par l’excellente femme de la conversation qu’elle avait eue avec M. Steighton. Ainsi éclairé, je n’opposai plus aux sarcasmes blasphématoires de l’usinier qu’une indifférence dont toute sa verve caustique ne parvint pas à triompher ; il se lassa bientôt d’épuiser ses munitions contre un marbre insensible, mais il n’en jeta pas pour cela ses traits acérés, et se contenta de les remettre dans son carquois.

J’avais été une seule fois à la Hall depuis mon installation dans les bureaux de M. Crimsworth ; c’était à propos d’une grande fête donnée pour célébrer le jour de naissance du maître de la maison. Il avait l’habitude d’inviter ses commis en pareille occasion, et il ne pouvait faire autrement que de me traiter comme les autres ; mais je n’en restai pas moins strictement à l’écart. C’est à peine si ma belle-sœur, dans l’éclat éblouissant d’une toilette resplendissante, m’adressa de loin un léger signe de tête ; quant à mon frère, il ne me salua même pas, et personne ne me présenta aux jeunes filles qui, enveloppées d’un nuage de gaze, formaient une guirlande autour du