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de son voile noir qui me dérobait la vue du ciel et des fleurs, et me serrait dans ses bras décharnés, où je sentais le froid du tombeau. Quels tristes récits, quels chants lugubres elle versait alors à mon oreille ! Que ne disait-elle pas du sépulcre sa véritable patrie, où elle me promettait de me conduire avant peu ? et, m’attirant sur les bords d’une rivière aux flots livides, elle me montrait sur l’autre rive, chargée de tertres inégaux, des monuments environnés de cyprès, dont une clarté sinistre faisait briller le marbre funèbre. « C’est Nécropolis, murmurait-elle ; regarde, ta demeure y est déjà préparée. »

J’étais seul au monde, orphelin ; je n’avais ni frère, ni sœur pour égayer mon enfance : qu’y avait-il d’étonnant à ce qu’une sorcière, me rencontrant alors égaré par une imagination vagabonde, ayant au cœur mille tendresses et personne à aimer, d’ardentes aspirations et un avenir ténébreux, d’immenses désirs et pas d’espoir, fit briller à mes regards sa lumière trompeuse, et m’attirât dans son antre peuplé d’horribles fantômes ? Mais aujourd’hui que l’avenir était sans nuages, que mon amour avait trouvé un refuge, que mes désirs, repliant leurs ailes fatiguées d’un long vol, se reposaient sous les caresses de celle qu’ils avaient tant cherchée, pourquoi l’hypocondrie venait-elle me retrouver ?

Je la repoussai, mais en vain, comme un jeune époux qui s’efforce de chasser une ancienne maîtresse venue pour lui aliéner le cœur de sa femme ; elle conserva son empire sur moi toute la nuit, et pendant les huit jours qui suivirent. Enfin, mon esprit recouvra peu à peu la santé, je retrouvai l’appétit, et je pus avec bonheur m’asseoir auprès de Frances, délivré de l’horrible tyrannie du démon.