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savourais avec ivresse. Jamais l’herbe, au sommet desséché des monts, n’a bu la rosée avec plus de reconnaissance que mon cœur ne goûtait la joie profonde qui l’inondait en ce moment.

Mon silence troubla Frances ; elle se leva sans but, alla tisonner le feu qui n’en avait pas besoin, remua les uns après les autres les objets qui décoraient la cheminée ; je regardais sa taille élégante et souple qui se penchait sur la pierre du foyer ; les plis de sa robe ondulaient à un pas de ma chaise.

Il y a de ces impulsions irrésistibles, qui nous saisissent et nous dominent avant même qu’on ait pu s’en douter ; ce n’est pas à dire pour cela qu’elles soient toujours mauvaises : peut-être la raison s’est-elle instantanément assurée de la bonté du fait médité par l’instinct, et sent-elle qu’elle peut rester passive tandis qu’il s’exécute ; toujours est-il que, sans que j’y eusse pensé, Frances était sur mes genoux, et que je l’y retenais fortement en dépit de ses efforts.

« Monsieur ! » s’écria-t -elle ; puis toute confuse, elle resta immobile et silencieuse. L’étonnement se dissipa bientôt, sans pourtant faire place à l’effroi ou à la colère ; elle était un peu plus près de moi qu’auparavant, et voilà tout ; la surprise avait pu la pousser à se débattre, mais le respect de soi-même mit fin à une résistance qui devenait inutile.

« M’estimez-vous beaucoup, Frances ? » lui demandai-je.

Elle ne répondit pas ; la situation était trop nouvelle pour lui permettre de parler. J’attendis un instant, malgré mon impatience, et je répétai ma question, probablement d’une voix très-agitée. Elle me regarda ; mon visage n’était certainement pas un modèle de calme, et je suppose que mon regard était très-animé.

« Répondez-moi, ajoutai-je d’un ton pressant.