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luma dans mes veines ; mais je me sentis au même instant une vive blessure au cœur : je partais le lendemain, et pour ne plus revenir !

« Le lendemain, j’étais seule avec lui, assise à son côté ; je lui disais combien mon départ assombrissait ma joie ; il répondit à peine, le temps passait, et je pleurais amèrement. On m’appela ; il était pâle, et m’ordonna de partir, puis me rappelant aussitôt, et me serrant dans ses bras : « Pourquoi nous séparer ? » murmura-t-il bien bas ; « n’étiez-vous pas heureuse auprès de moi ? ne vous ai-je pas sincèrement accordé tous mes soins ? qui donc aura pour celle que j’aime autant de dévouement et d’amour ? Oh ! mon Dieu, veillez sur mon enfant d’adoption ; gardez-la bien, Seigneur ! protégez-la contre les flots et la tempête… Va donc, enfant, puisqu’ils t’appellent, arrache-toi de mes bras, ton véritable asile ; mais si tu souffrais un jour, si tu étais déçue, repoussée ou opprimée, Jeanne, reviens à moi qui t’aime, et dont le cœur est ton refuge naturel. »

Je restai longtemps silencieux après cette lecture ; mon crayon traçait comme en rêve des lignes incohérentes sur le papier que j’avais sous les yeux. Je me disais que Jeanne était à côté de moi, que ce n’était pas une enfant, mais une jeune fille de dix-neuf ans, et qu’elle pouvait m’appartenir, mon cœur me l’affirmait. La malédiction qui pèse sur le pauvre s’était éloignée de moi, la jalousie elle-même avait fui et ne savait pas que j’avais retrouvé Frances. Nous étions libres ; la glace qui recouvrait les manières du professeur pouvait se briser ; mon œil n’avait plus besoin d’éteindre ses rayons, mon visage de voiler son attendrissement sous un aspect sévère ; il lui était permis de révéler la flamme intérieure et de chercher à éveiller un sentiment qui répondît au mien : pensée délicieuse que je