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tiennent ce langage ; et Frances, eût-elle été aussi désolée qu’elle le paraissait, ne se fût pas trouvée pire que des milliers d’entre elles. Voyez la race des vieilles filles, race guindée et rigide qu’on méprise : elles se sont nourries depuis leur jeunesse de patience et de résignation ; la plupart se sont ossifiées à ce maigre régime ; la contrainte qui a été l’objet perpétuel de leur existence a fini par anéantir les qualités aimables de leur nature ; et les malheureuses n’offrent plus à leur mort que des modèles d’austérité formés extérieurement d’un peu de parchemin et de beaucoup d’os. Les anatomistes vous diront qu’il y a un cœur dans la carcasse flétrie d’une vieille fille, le même organe que chez une femme adorée ou chez la mère orgueilleuse de ses nombreux enfants ; c’est possible : je n’en sais rien ; mais j’en doute fort.

Je souhaitai le bonsoir à Frances et je pris une chaise, probablement celle qu’elle venait de quitter ; cette chaise était placée devant une petite table où se trouvaient un pupitre ouvert et des papiers ; je ne sais pas si Frances m’avait reconnu tout d’abord, mais elle sembla maintenant savoir qui j’étais et répondit à mes paroles d’une voix douce et tranquille. J’avais pris un air calme en entrant ; elle régla ses manières d’après ma façon d’être et ne témoigna nulle surprise ; nous nous retrouvions dans les mêmes termes qu’autrefois : ceux qui existent de professeur à élève, et rien de plus. Je commençai à feuilleter son cahier ; toujours attentive et complaisante, elle alla dans la chambre voisine, en rapporta une chandelle qu’elle alluma et qu’elle plaça près de moi ; puis ayant fermé les rideaux et mis du bois et du charbon dans le feu, elle prit une chaise et vint s’asseoir à ma droite, mais un peu à distance. Le cahier que j’avais pris contenait la traduction anglaise de quelque auteur sérieux ; il s’y trouvait quelques feuilles détachées sur lesquelles je mis la main ; Frances étendit vivement la sienne