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Quand sommes nous complètement heureux, et l’étais-je en ce moment ? Non ; une inquiétude croissante me dévorait depuis l’instant où j’avais reçu la nouvelle de ma nomination. Comment allait Frances ? Je ne l’avais pas vue depuis deux mois et demi, je n’avais pas eu de ses nouvelles depuis six semaines ; la réponse que j’avais faite à son dernier billet ne l’engageait pas à continuer de m’écrire et ne lui promettait pas de nous revoir ; je croyais toucher au bonheur parce que ma barque se trouvait au sommet des vagues ; mais j’ignorais dans quel abîme le premier coup de vent pouvait la précipiter : il peut arriver tant de choses en six semaines ! Plaise à Dieu que Frances n’ait pas été malade, que je la trouve bien portante et qu’elle n’ait pas changé ! Tous les sages n’ont-ils pas affirmé que le bonheur parfait n’existe pas sur terre ? Oserai-je penser qu’il n’y a que la distance de quelques pas entre ma main et la coupe de délices qui, dit-on, ne se remplit que dans les cieux ?

J’étais enfin arrivé ; j’entrai dans cette maison paisibles et je montai l’escalier ; personne dans le corridor, toutes les portes étaient closes. Mes yeux cherchèrent le petit tapis de laine verte : il était à sa place.

« Signe d’espoir, me dis-je ; mais attendons pour entrer que je sois un peu plus calme : il ne faut pas me précipiter chez elle comme une trombe et débuter par une scène. »

Je suspendis ma course et je m’arrêtai sur le tapis.

« Quel silence ! y est-elle ? » me demandai-je. Le bruit imperceptible d’un charbon qui s’échappait de la grille me répondit ; on fit un mouvement dans la chambre ; quelqu’un arrangea le feu ; puis le mouvement continua ; un pied léger parcourut la pièce d’un pas égal ; j’écoutais, immobile, quand une voix harmonieuse récompensa mon oreille attentive ; un simple