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mable : comment voulez-vous qu’à son tour une femme le soit avec vous ? Je vous ai vu appuyé à la porte d’un salon rempli de monde, écoutant sans rien dire ; observant toujours et n’agissant jamais ; ayant l’air froidement timide au commencement ; attentif au point d’être indiscret vers le milieu de la soirée ; et d’une lassitude insolente quelques instants plus tard : pensez-vous que ce soit le moyen d’être agréable aux autres et d’exciter leur intérêt ? Non ; si vous êtes généralement impopulaire, c’est parce que vous le méritez.

— J’en suis ravi ! m’écriai-je.

— Pas le moins du monde, reprit Hunsden ; si vous riez quand les femmes vous tournent le dos, vous riez d’un mauvais rire et vous n’en êtes pas moins blessé. Tous les biens qu’on désire ici-bas, la célébrité, la fortune et l’amour, ne seront jamais pour vous que les raisins de la fable. Vous les regardez avec envie, leur vue allume dans vos yeux la flamme de la convoitise, mais ils sont en dehors de votre atteinte ; vous n’êtes pas assez adroit pour trouver une échelle, et vous vous éloignez en disant qu’ils sont trop verts. »

Ces paroles, quelque blessantes qu’elles fussent, ne me touchaient aucunement ; j’avais beaucoup changé depuis mon départ de X… Mais Hunsden ne pouvait pas le savoir ; il ne m’avait vu qu’à l’époque où j’étais simple commis chez M. Crimsworth ; où, pauvre subalterne au milieu de riches étrangers qui me regardaient à peine, j’opposais à leur mépris une fierté dédaigneuse ; où, sachant que mon extérieur était peu attrayant, je refusais de solliciter une bienveillance qu’on ne m’aurait pas accordée, ou d’exprimer une admiration dont on eût repoussé le témoignage. Il ignorait que, depuis lors, je m’étais trouvé chaque jour au milieu de la jeunesse et de la beauté ; que j’en avais étudié l’esprit et le caractère, et que j’avais pu examiner de près le tissu qui était