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Je n’ajoutai pas un mot : je sentais que ce serait une folie de raisonner avec un homme du caractère de M. Crimsworth ; une plus grande encore de lui répondre avec emportement.

« Je resterai calme, dis-je en moi-même ; lorsque la coupe débordera, je m’en irai ; jusque-là soyons patient ; il y a une chose certaine, c’est que je suis capable de faire la besogne qui va m’être confiée, que je gagnerai mon argent en conscience et que la somme est suffisante pour me permettre de vivre. Quant à mon frère, s’il est dur et hautain à mon égard, ce sera sa faute et non la mienne ; son injustice ne doit pas me détourner de la route que j’ai choisie ; je ne suis, d’ailleurs, qu’au début ; l’entrée est difficile, mais plus tard la voie peut s’élargir. »

Tandis que je me faisais ce raisonnement, Édouard tira le cordon de la sonnette ; le premier commis rentra dans le bureau.

« Monsieur Steighton, lui dit Édouard, donnez à M. William les lettres de Voss frères, ainsi que la copie des réponses qui leur a été faite en anglais ; il les traduira en allemand. »

Mon collègue était un homme d’environ trente-cinq ans, dont la face empâtée annonçait une pesanteur d’esprit qui n’excluait pas la ruse ; il s’empressa d’exécuter l’ordre que lui donnait M. Crimsworth, et je me mis immédiatement à la besogne. Une joie réelle accompagnait ce premier effort que je faisais pour gagner ma vie ; une joie profonde que n’affaiblissait pas la présence du maître, dont l’œil essayait de deviner ce qui se passait dans mon âme. Je me sentais aussi tranquille sous ce regard que si j’avais été abrité par la visière d’un casque ; il pouvait examiner à son aise les lignes de mon visage, le sens lui en restait caché ; ma nature différait trop de la sienne pour qu’il pût la comprendre,