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qu’elles rendent à la fashion ! Il y aurait à écrire tout un chapitre à ce sujet, que je me réserve de traiter un peu plus tard.

Si j’avais eu encore mes quinze cents francs d’appointements, j’aurais pu, maintenant que Frances, de son côté, en gagnait douze cents, aller la trouver le soir même et lui dire les paroles qui me brûlaient le cœur ; notre revenu aurait suffi à nos besoins, puisque nous vivions dans un pays où l’économie n’est pas appelée bassesse, où la simplicité dans la toilette, l’ameublement et la nourriture, n’est pas synonyme de vulgarité. Mais sans protection et sans place, n’ayant aucune ressource, je ne pouvais pas même y songer ; l’amour m’était défendu, le mot de mariage était déplacé sur mes lèvres. Pour la première fois je comprenais ce que c’est que d’être pauvre ; le sacrifice que j’avais fait de ma position m’apparaissait maintenant sous un jour tout différent : ce n’était plus un acte honorable, mais un trait de folie ridicule. Je parcourais ma chambre, aiguillonné par le remords ; j’allai, pendant un quart d’heure, de la porte à la fenêtre, m’accablant de reproches et me raillant de ma sottise. À la fin, la conscience éleva la voix :

« Silence, bourreaux stupides ! s’écria-t-elle ; cet homme a bien agi ; pourquoi le torturer en lui parlant du bonheur qu’il aurait pu avoir ? Il a renoncé à une position temporaire, pour éviter un mal permanent et certain ; il a bien fait. Laissez-le réfléchir, et, quand vous aurez fini de l’aveugler, il découvrira une issue à la position où il se trouve. »

J’allai m’asseoir, et, appuyant mon front sur mes deux mains, je méditais vainement pendant trois heures. J’étais comme un homme enfermé dans un profond souterrain, dont le regard cherche à percer les ténèbres, et qui attend que la lumière traverse les murs