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Je revins à la première lettre que j’avais lue : elle éveillait en moi un son que rien ne pouvait étouffer ; la corde qu’elle touchait vibrait profondément dans mon cœur ; musique délicieuse, dont pourtant le dernier accord était un gémissement.

J’étais heureux de savoir Frances à l’abri du besoin, relevée de ce travail excessif qui pesait sur elle comme une malédiction ; heureux surtout de voir que sa première pensée avait été de partager son bonheur avec moi et de prévenir ainsi tous mes vœux : mais, après avoir savouré cette joie pure, je trouvais l’amertume au fond de la coupe, et j’en retirais mes lèvres brûlées par le fiel.

Deux personnes, dont les désirs sont modestes, peuvent vivre convenablement à Bruxelles avec un revenu qui, à Londres, suffirait à peine aux besoins d’un individu : non pas parce que les objets de première nécessité sont beaucoup plus chers et les impôts plus élevés à Londres qu’à Bruxelles ; mais parce que les Anglais surpassent en folie tous les peuples de la terre et sont plus esclaves des usages, de l’opinion du monde, du désir de garder une certaine apparence, que les Italiens de la prêtrise, les Français de la vaine gloire, les Russes de leur czar, ou les Allemands de leur black beer[1]. J’ai toujours trouvé, dans le modeste arrangement d’un simple intérieur belge, un degré de bon sens qui valait cent fois mieux que les superfluités élégantes, le luxe forcé de maintes familles anglaises se piquant de distinction. En Belgique, si vous avez de l’argent, vous pouvez l’épargner ; c’est impossible en Angleterre : l’ostentation y dépense en un mois ce que le travail a mis un an à gagner. Honte à toutes les classes de ce pays, si opulent et si misérable, pour le culte servile

  1. Bière noire.