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moi. J’avais résolu de faire tout au monde pour arriver à subvenir aux besoins d’un ménage ; au lieu de cela, je me plongeais dans un dénûment absolu. « Et pourquoi ? me demandais-je ; pour éviter un mal qui peut-être n’arrivera jamais. — Qui en est certain ? répondait la conscience. Fais ton devoir, obéis-moi, poursuivait ce moniteur inflexible ; je te soutiendrai, alors même que tu aurais à traverser le marais fangeux de la misère. » Et tout en marchant d’un pas rapide, la pensée d’un être supérieur, invisible, mais toujours présent, s’éleva dans mon esprit ; être qui, dans sa bonté suprême, ne désirait que mon bien, et qui, attentif à la lutte qui se passait dans mon âme, regardait si j’allais obéir à sa voix, dont ma conscience me transmettait les paroles, ou prêter l’oreille aux sophismes de l’esprit du mal, qui cherchait à m’égarer. Le sentier que désignait l’inspiration divine était rude ; celui où m’attirait la tentation, doux et couvert de fleurs ; mais l’amour, cet ami de toute créature, me souriait lorsque je me dirigeais vers la montée rocailleuse, tandis que chacun de mes pas vers la pente gazonnée allumait un éclair de triomphe dans le regard du démon.

Je me retournai vivement et je repris la route de Bruxelles ; une demi-heure après, j’étais dans le cabinet de M. Pelet. Quelques paroles suffirent à lui déclarer mes intentions ; la manière dont elles furent prononcées lui montra que ma détermination était irrévocable. Peut-être au fond du cœur approuvait-il ma conduite. Au bout de vingt minutes d’entretien, je me retrouvai dans ma chambre, n’ayant plus aucun moyen d’existence et m’étant condamné volontairement à quitter, avant huit jours, cette maison qui jusqu’à présent était mon seul asile.