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tarderait pas à triompher de la réserve qu’il impose. Je n’étais point le pape, je ne pouvais pas me vanter d’être infaillible. Bref, si je restais dans la maison, il était probable qu’avant trois mois un roman français de l’école moderne serait en cours d’exécution sous le toit du malheureux et trop confiant Pelet. Or, je n’aime l’école française ni en théorie ni en pratique ; j’ai eu, malgré mon peu d’expérience, l’occasion de voir de près un exemple de ces trahisons domestiques, aussi intéressantes que romanesques pour celui qui n’en est pas témoin. Quant à moi, qui ai contemplé le fait dans toute sa nudité, il m’a rempli de dégoût ; je n’y ai vu qu’une âme dégradée par le mensonge, par l’emploi continuel de misérables subterfuges, et un corps énervé par l’influence délétère d’un esprit corrompu. J’ai beaucoup souffert de la vue prolongée de ce spectacle ; mais je ne le regrettais pas, car le souvenir de mes souffrances agissait comme un puissant antidote contre la tentation ; je leur devais cette conviction profonde, que le plaisir illégitime est un plaisir empoisonné ; trompeur dans le présent, il vous réserve mille tortures et vous déprave pour toujours.

La conclusion de tout cela était que je devais quitter immédiatement la maison de M. Pelet. « Comment vivras-tu ? » m’objecta la prudence ; et mon rêve d’amour vint à passer devant mes yeux. Frances était à côté de moi, sa taille flexible invitait mon bras à la prendre, sa main attirait ma main, je sentais qu’elle était faite pour reposer dans la mienne ; je ne pouvais pas renoncer au droit que j’avais de m’en emparer, et détourner mes yeux des siens où je voyais tant de bonheur, tant de rapport entre nos âmes ; de son regard qui, sous mon influence, devenait plus brillant ou plus sombre, et dont l’expression se modifiait à mon gré. Toutes mes espérances, tous mes projets de travail se dressaient contre