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jetée dans les bras d’un aventurier sans principes. Il accompagna ces dernières paroles d’un coup violent qu’il me destinait et qui tomba dans le vide. Je partis, le laissant bondir hors de son lit, où je l’avais retenu jusque-là ; et, fermant la porte à clef derrière moi, je rentrai dans ma chambre, certain qu’il était en lieu sûr, et l’abandonnant jusqu’au lendemain à toutes les réflexions que lui inspirerait la scène dont je venais d’être témoin.

C’est précisément à cette époque que Mlle Reuter, piquée de ma froideur, vaincue par mon mépris, excitée par la préférence qu’elle me supposait pour une autre, fut prise au piège qu’elle avait imaginé et tomba dans les filets où elle avait espéré me retenir. Sachant ce qui se passait de ce côté-là, je conclus des paroles du chef d’institution que la dame de ses pensées avait trahi son secret et lui avait laissé voir que la cavité de son cœur était maintenant occupée par l’image de cet indigne Anglais. Ce n’était pas sans surprise que je me voyais forcé d’admettre cette incontestable vérité ; M. Pelet, possesseur d’un pensionnat, dont l’ancienne prospérité allait croissant chaque jour, était un parti si brillant que je ne pouvais comprendre que Zoraïde, la plus intéressée des femmes, préférât les qualités personnelles d’un pauvre diable à des avantages aussi palpables ; d’après ce que l’ivresse avait fait dire au chef d’institution, il était évident que Mlle Reuter ne s’était pas bornée à le repousser, mais qu’elle avait laissé échapper quelques expressions qui témoignaient de sa partialité pour moi. « La vieille sotte raffole de votre jeunesse, disait-il dans sa fureur ; elle vante la distinction de vos manières, comme elle appelle votre roideur britannique ; elle parle de votre moralité, stupide blanc-bec ! des mœurs de Caton, la vieille sotte ! » N’est-il pas étrange que le mépris ironique d’un subordonné sans fortune ait produit sur cette âme, naturellement éprise des biens de