Page:Brontë - Le Professeur.djvu/204

Cette page n’a pas encore été corrigée

feu. Bonsoir, mademoiselle ! » Et je partis pour la seconde fois.

À peine si j’étais resté une minute dans cette visite impromptu, et néanmoins j’avais eu le temps d’éprouver une vive douleur. Frances avait déjà ôté de la grille le bois et les charbons qui composaient son feu ; obligée de calculer et d’épargner sur tout, elle avait, aussitôt mon départ, retranché un luxe trop coûteux pour en jouir lorsqu’elle se trouvait seule.

« Quel bonheur qu’on ne soit pas encore en hiver ! pensai-je ; mais avant deux mois viendront les pluies d’automne, les vents glacés de novembre. Plaise à Dieu qu’à cette époque j’aie acquis le droit et le pouvoir de verser ad libitum le charbon dans sa grille ! »

Le pavé était déjà sec, une brise embaumée rafraîchissait l’atmosphère purifiée par l’orage. Je tournais le dos au soleil, qui trempait déjà ses bords dans l’azur empourpré du couchant ; devant moi se développait une ligne de nuages, mais en même temps un immense arc-en-ciel, dont les vives couleurs ressortaient avec éclat sur le ciel assombri. Je regardai longtemps ce spectacle grandiose, qui probablement se grava dans mon esprit : car, après avoir veillé jusqu’à une heure avancée de la nuit, doucement agité par une fièvre délicieuse, et regardant les muets éclairs qui blanchissaient la nue et faisaient pâlir les étoiles, je revis en songe le couchant splendide, l’orient couvert de nuages et surmonté d’un majestueux arc-en-ciel. Je me trouvais sur une terrasse, appuyé sur une balustrade ; à mes pieds était un abîme dont je ne pouvais sonder la profondeur, mais oh j’entendais le bruit incessant des vagues ; l’Océan déployait à l’horizon ses flots verts passant au bleu foncé ; tout s’adoucissait au loin et se voilait de vapeurs transparentes. Une étincelle d’or brillait sur la ligne qui séparait l’eau du ciel : peu à peu