Page:Brontë - Le Professeur.djvu/203

Cette page n’a pas encore été corrigée

m’adressait un de ces regards qui n’appartiennent qu’à elle, un regard enjoué où se mêlait une certaine inquiétude, et qui me pénétrait jusqu’au fond du cœur et me faisait sentir que j’étais son esclave ; heureusement qu’elle ne s’en doutait pas. Ces petites scènes communiquaient à son esprit plus d’ardeur, à sa pensée plus d’élan, et son corps, ainsi que je l’ai déjà remarqué, puisait dans cette activité de l’âme une force nouvelle qui lui rendait la santé.

C’est à tout cela que je pensais en descendant l’escalier qui de la chambre de Frances me conduisait au dehors. Au moment d’ouvrir la porte extérieure, je me rappelai les vingt francs que je n’avais pas rendus ; impossible de les emporter, avec moi, et tout aussi difficile de les restituer à leur premier possesseur. J’avais vu Frances dans son humble retraite, j’avais été témoin de la dignité de sa pauvreté, du soin religieux qu’elle apportait dans l’arrangement de son intérieur. J’étais persuadé qu’elle ne souffrirait pas qu’on la dispensât de payer ses dettes, qu’elle le souffrirait moins encore de ma part que de celle d’un autre : et cependant ces quatre pièces de vingt francs pesaient à ma conscience ; il fallait absolument que je vinsse à m’en débarrasser. Un expédient, maladroit sans aucun doute, et pourtant le meilleur que je pusse imaginer, me traversa l’esprit tout à coup ; je remontai l’escalier, je frappai à la porte et je rentrai dans sa chambre.

« Mademoiselle, lui dis-je avec précipitation, je viens chercher mon gant que je dois avoir laissé chez vous. »

Elle se leva pour regarder où il pouvait être ; et, profitant du moment où elle avait le dos tourné, je levai sans bruit un vase de porcelaine qui ornait la cheminée, je glissai l’argent sous le vase en m’écriant : « Le voici, je l’avais laissé tomber derrière le garde-