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j’ai commencé mes recherches ; mon courage et mon espoir sont bien loin d’être épuisés.

— Et quels sont vos projets, si vous réussissez ?

— D’épargner le plus possible afin de passer en Angleterre, qui est toujours mon Chanaan.

— Très-bien ; je reviendrai vous voir avant peu. Quant à présent, bonsoir. »

Je la quittai brusquement, ayant fort à faire pour résister au désir de prendre congé d’elle d’une façon plus tendre et surtout plus expressive. Quoi de plus naturel que de la serrer dans mes bras et d’imprimer un baiser sur son front ? Je n’en demandais pas davantage, et c’était bien raisonnable. Je serais parti si heureux ! la raison ne voulut pas me le permettre ; elle m’obligea de détourner les yeux et de m’éloigner de Frances, de la quitter aussi froidement que s’il se fût agi de la vieille Mme Pelet. J’obéis, mais en jurant de me dédommager plus tard.

« J’acquerrai un jour le droit de faire tout ce que bon me semblera, ou je mourrai dans la lutte. Elle sera ma femme, pensais-je, du moins si elle a pour moi la moitié de l’affection qu’elle m’inspire. Écouterait-elle mes leçons avec tant de docilité, les recevrait-elle avec autant de bonheur, si elle ne m’aimait pas ? aurait-elle auprès de moi cet air calme et souriant, cette tranquillité d’alcyon qui ne s’inquiète pas de la tempête ? » Car, je l’ai remarqué plus d’une fois, quel que fût son abattement lorsque j’entrais dans la classe, à peine m’étais-je approché d’elle, lui avais-je dit un mot, ordonné quelque chose ou fait un reproche, qu’elle relevait la tête et retrouvait son courage et sa sérénité, surtout quand je la grondais ; elle prenait alors son canif et taillait une plume, elle s’agitait, se défendait par quelques monosyllabes, et quand, pour l’animer davantage, je lui ôtais son canif et lui interdisais de me répondre, elle