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cheminée soigneusement balayé, Frances prit une chaise qu’elle plaça en face de la mienne, et, pour la première fois, elle parut éprouver un léger embarras : il est vrai que, sans que je m’en fusse douté, mes yeux avaient suivi tous ses mouvements avec trop de persévérance. Elle me fascinait par sa grâce et sa vivacité, par l’arrangement habile que ses jolis doigts savaient imprimer aux moindres choses. Je la regardais toujours, attendant qu’elle levât ses yeux afin que je pusse me pénétrer du rayon que j’aimais tant à y voir, de cette lumière dont la flamme se noyait dans la douceur, où la tendresse se mêlait à la pénétration, où, quant à présent du moins, la joie s’unissait à la poésie ; mais ses paupières ne se levaient pas, et sa rougeur augmentait toujours plutôt que de s’affaiblir. Je crus avoir quelque chose à me reprocher ; il fallait dans tous les cas cesser de la regarder avec cette profonde attention et briser le charme qui la retenait immobile.

« Prenez un livre anglais, mademoiselle, lui dis-je avec ce ton d’autorité qui l’avait toujours mise à l’aise ; l’averse continue et pourra me retenir ici peut-être une heure encore. »

Elle se leva tout à fait remise de son trouble, prit un volume et revint occuper la chaise que j’avais placée à côté de moi. C’était le Paradis perdu qu’elle avait choisi, parce que, du moins je l’imagine, le caractère religieux de cet ouvrage convenait à la sainteté du dimanche. Je lui dis de commencer à la première page, et, tandis qu’elle lisait l’invocation du poète à la Muse qui sur le sommet de l’Oreb enseigna au pasteur hébreux comment l’univers fut tiré du chaos, je m’abandonnai à la triple jouissance de l’avoir à mon côté, d’entendre sa voix, si douce à mon oreille, et de pouvoir de temps à autre lever les yeux sur son visage, profitant