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qui les a légués à sa fille ; ma mère les apporta en Suisse, et me les a laissés à son tour ; depuis mon enfance, j’ai toujours eu le désir de les reporter en Angleterre. »

Elle mit deux petits pains sur la table ; elle fit le thé comme les étrangers le font tous, à raison de deux petites cuillerées de thé pour une demi-douzaine de tasses ; elle plaça pour moi une chaise auprès de la table, et, quand elle me la vit prendre, elle s’écria d’un air de triomphe :

« N’allez-vous pas croire un instant que vous êtes en Angleterre et chez vous ?

— Si j’avais un chez moi dans ma patrie, cela me le rappellerait certainement, » répondis-je.

À vrai dire, l’illusion aurait été facile en voyant cette jeune fille au teint délicat présidant un repas anglais et me parlant ma propre langue.

« Ainsi vous n’avez pas de famille ? reprit Frances.

— Non ; je n’ai pas même connu la maison paternelle. Si je veux avoir un foyer domestique, il faudra que j’en pose la première pierre. »

Tout en parlant ainsi, une angoisse inconnue me traversa le cœur. J’étais humilié de ma position et de l’insuffisance de mes moyens pour en sortir ; j’éprouvais le besoin de m’élever, de faire plus et de gagner davantage, de me créer un intérieur et d’y placer la femme que je désirais avoir.

Le thé de Frances n’était, à vrai dire, que de l’eau chaude, mais je le trouvai parfait ; il me restaura complètement, et ses petits pains, qu’elle fut obligée de m’offrir sans beurre, parurent à mon palais aussi doux que la manne céleste.

Quand le repas fut terminé, la vieille porcelaine essuyée, la table frottée, l’assiette du chat de ma tante remplie de pain émietté dans du lait, le devant de la