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CHAPITRE XIX.


Si les romanciers observaient consciencieusement la vie réelle, les peintures qu’ils nous donnent offriraient moins de ces effets de lumière et d’ombre qui produisent dans leurs tableaux des contrastes saisissants. Les personnages qu’ils nous présentent n’atteindraient presque jamais les hauteurs de l’extase et tomberaient moins souvent encore dans l’abîme sans fond du désespoir : car il est rare de savourer la joie dans toute sa plénitude, plus rare peut-être de goûter l’âcre amertume d’une angoisse complètement désespérée ; à moins que l’homme ne se soit plongé, comme la bête, dans les excès d’une sensualité brutale, qu’il n’y ait usé ses forces et détruit les facultés qu’il avait reçues pour être heureux. Comment alors devra finir l’agonie qu’il endure ? trop faible pour conserver la foi, sa vie n’est plus que douleur et la mort ne lui apporte que ténèbres ; Dieu n’a plus de place dans son âme abattue, où rampent les hideux souvenirs que le vice y a laissés ; il arrive au bord de la tombe où la débauche le précipite avant l’heure, haillon rongé par d’affreuses maladies, tordu par la souffrance, et qu’enfonce sous le gazon du cimetière l’inexorable talon du désespoir.

Celui dont l’esprit a gardé sa puissance, ne connaît pas ces tortures infernales : il chancelle un instant si la ruine vient à l’atteindre ; mais son énergie, réveillée par le coup même dont il vient d’être frappé, cherche le moyen de réparer sa perte et trouve dans le travail