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de ces espérances que l’homme doit ressentir en face des lieux où il va s’ouvrir une carrière. « Tu te révoltes contre le fait qui s’impose, me disais-je à moi-même ; tu es un fou, William, tu ne sais pas ce que tu veux : c’est toi qui as choisi la route que tu vas suivre ; il faut que tu sois commerçant, puisque tu l’as voulu. Regarde la fumée noire qui s’échappe de cet antre, c’est là qu’est désormais ton poste ; là, tu ne pourras plus méditer et faire de vaines théories ; là-bas, au lieu de rêver, on agit et l’on travaille. »

Après m’être ainsi gourmandé, je revins à la maison. Mon frère était dans la salle à manger ; nous nous abordâmes avec froideur : j’avoue que, pour ma part, il m’aurait été impossible de lui sourire, tant il y avait dans ses yeux, lorsqu’ils rencontrèrent les miens, quelque chose d’antipathique à ma nature. Il me dit bonjour d’un ton sec, et, prenant un journal qui se trouvait sur la table, il se mit à le parcourir de l’air d’un homme qui saisit un prétexte pour échapper à l’ennui de causer avec un inférieur. Si je n’avais pas eu la ferme résolution de tout supporter, au moins pendant quelque temps, ses manières auraient certainement fait éclater l’expression d’une inimitié que je m’efforçais de contenir. Je mesurai de l’œil son corps vigoureux, ses proportions admirables, et voyant mon image dans la glace qui était au-dessus delà cheminée, je m’amusai à comparer nos deux figures : je lui ressemblais de face, bien que je n’eusse pas sa beauté ; mes traits étaient moins réguliers que les siens ; j’avais l’œil plus foncé, le front plus large ; mais je n’avais pas sa taille, et je paraissais grêle à côté de lui : bref, Édouard était beaucoup plus bel homme que moi ; et, s’il avait au moral la même supériorité qu’au physique, je deviendrais assurément son esclave ; car je ne devais pas m’attendre à ce qu’il usât de générosité envers un être plus faible que lui ;