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tranchant émoussé, tu m’interroges du regard et tu demandes pourquoi j’existe encore, pourquoi j’espère toujours. Démon païen, je ne crois pas à ta puissance ; le Dieu que j’adore, celui dont le fils s’est fait homme cette nuit même et a donné son sang pour racheter l’humanité, dirige ton bras et ne permet pas que tu frappes sans qu’il l’ait ordonné. Mon Dieu est toute bonté comme il est-toute puissance ; j’ai foi dans sa miséricorde, et, bien que tu m’aies brisé, bien que je sois seul et nu, errant en fugitif sur cette terre qui reconnut mon empire, je ne cède pas à tes coups ; la lance de Guthrum fût-elle rougie de mon sang que je ne désespérerais pas. J’attends, je prie et j’espère. Jéhovah, lorsque son heure sera venue, saura bien relever celui qui invoqua son nom. »

Le reste de l’épisode était narré avec le même soin ; on y trouvait quelques fautes d’orthographe, des erreurs de construction et certains gallicismes ; le style avait besoin d’être poli, et la phrase, quelque peu boursouflée, manquait parfois d’haleine et tombait tout à coup ; mais néanmoins, tel qu’il était, je n’avais rien vu de pareil à ce devoir pendant tout le cours de mon professorat. L’imagination de la jeune fille avait conçu d’heureux détails que je ne lui avais point indiqués ; elle avait rappelé les anciennes légendes des Saxons, montré le courage d’Alfred au milieu de tous ses revers, et la foi profonde de ces premiers chrétiens de la Grande-Bretagne dans la puissance du Jéhovah de l’Écriture, qu’ils opposaient à l’aveugle destin du paganisme ; tout cela, je le répète, sans qu’il en eût été question dans les quelques phrases que j’avais données pour argument.

Il faut que je trouve l’occasion de lui parler, dis-je en moi-même ; il faut que je sache par quel moyen elle a pu apprendre l’anglais ; car il est évident qu’il lui est