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elle prenait son manteau de peau de mouton, et, s’adressant à un étranger qui se reposait à côté de la cheminée, elle lui recommandait de veiller à la cuisson du pain.

« Ayez soin, jeune homme, lui disait-elle ensuite, de bien fermer la porte lorsque nous serons partis et de n’ouvrir à personne ; ne bougez pas du foyer, surtout ne regardez point au dehors. La forêt est déserte, et des bruits étranges se font entendre après le coucher du soleil. Les loups se promènent dans les clairières et les guerriers danois se répandent dans la campagne. On fait d’affreux récits ; peut-être croirez-vous entendre les cris d’un enfant, et, si vous ouvriez la porte pour courir à son secours, un énorme taureau ou le spectre d’un chien noir se précipiterait dans la cabane ; plus redoutable encore serait un frôlement d’ailes contre le volet qui ferme la lucarne : un corbeau sinistre ou bien une blanche colombe viendrait se poser près du foyer, et annoncerait qu’un malheur va frapper la maison. C’est pourquoi, je vous le répète, souvenez-vous de mon conseil, et que rien au monde ne vous fasse entre-bâiller la porte. »

L’étranger, resté seul, écoutait le bruit du vent amorti par la neige et le grondement que la rivière débordée faisait entendre au loin ; puis se parlant à lui-même : « C’est aujourd’hui la veille de Noël, disait-il ; remarquons bien cette date. Sans autre abri que le toit d’un pâtre, sans autre siège que cette couche de roseaux, moi, l’héritier d’un royaume, c’est à un pauvre serf que je dois l’asile où je vais passer la nuit. Mon trône est usurpé, ma couronne presse le front de l’envahisseur ; je n’ai plus d’amis, plus de soldats ; les malfaiteurs impunis dévastent la contrée ; mes sujets abattus sont écrasés par le talon du Danois. Ô destin ! tu penses que ta victoire est complète ; appuyé sur ton arme au