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portes me séparaient maintenant du carré où étaient les brodeuses.

Le lendemain, lorsque j’entrai dans la première classe, j’y trouvai Mlle Zoraïde, assise comme à l’ordinaire entre les deux estrades ; devant elle se tenait Mlle Henri, dont l’attitude me sembla respirer la contrainte. La directrice parlait en tricotant ; le bruit des élèves couvrait sa voix, et la maîtresse d’ouvrage à l’aiguille entendait seule les paroles que lui étaient adressées. Mlle Henri était rouge, et sa physionomie exprimait une contrariété dont je ne devinais pas l’origine, car le visage de la directrice conservait toute sa placidité ; il était impossible qu’elle pût gronder avec autant de calme et d’une voix aussi douce ; d’ailleurs j’entendis sa dernière phrase, qu’elle prononça du ton le plus affectueux : « Merci, ma bonne amie, dit-elle à la jeune fille, c’est assez ; je ne veux pas vous retenir plus longtemps. »

Mlle Henri s’éloigna sans lui répondre ; le mécontentement était peint sur sa figure, et un léger sourire, où l’amertume se mêlait au mépris, glissa sur ses lèvres tandis qu’elle allait s’asseoir à l’extrémité de la classe ; un air d’abattement succéda bientôt à ce sourire, et fut remplacé à son tour par l’intérêt qu’exprima son visage dès que j’eus dit aux élèves de prendre leurs livres.

Je détestais les jours de lecture : c’était, pour mon oreille, une vive souffrance que d’entendre écorcher ainsi ma langue maternelle, en dépit de tous les efforts que je faisais pour améliorer la prononciation de mes élèves ; ce jour-là, comme d’habitude, ce fut à qui marmotterait, balbutierait et bredouillerait de la façon la plus atroce, chacune dans le ton qui lui était particulier. Déjà quinze de ces demoiselles m’avaient torturé de leur baragouinage inqualifiable, et mon tympan meurtri attendait avec résignation le bégayement nasillard de la