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cette jeune fille, et je la regardais aussi rarement que possible : non pas que je fusse indifférent à ses précieuses qualités ; sa modestie et son intelligence m’auraient même inspiré une affection sincère en dépit de sa laideur et de son impassibilité lugubre, et j’aurais aimé à lui témoigner de la bienveillance, si je n’avais su que le moindre mot amical aurait été reporté par elle à son confesseur, et que celui-ci n’eût pas manqué de le dénaturer et d’en empoisonner le sens. J’avais un jour posé ma main sur la tête de la pauvre enfant en signe d’approbation ; je croyais la voir sourire ; elle se recula au contraire en jetant sur moi un regard courroucé : j’étais un homme, et de plus un hérétique pour elle, future religieuse et fervente catholique ; nous étions séparés à jamais dans ce monde-ci et dans l’autre.

Léonie exprima sa joie par un air triomphant. Eulalie devint maussade, elle avait espéré qu’elle serait nommée la première. Hortense et Caroline échangèrent une grimace pleine d’insouciance en voyant leurs noms placés tout à la fin de la liste ; à leurs, yeux, l’infériorité d’esprit et d’instruction ne constituait pas même un désavantage : c’était sur le pouvoir de leurs charmes qu’elles fondaient leurs espérances.

Cette affaire terminée, comme je me disposais à reprendre les exercices où je les avais laissés l’avant- veille, je m’aperçus que ma nouvelle élève se trouvait à sa place. J’avais mes lunettes et je voyais distinctement jusqu’au moindre de ses traits ; elle avait l’air fort jeune ; cependant, s’il m’avait fallu dire le chiffre exact de son âge, j’aurais été quelque peu embarrassé : la gracilité de ses formes annonçait tout au plus dix-sept ans ; mais l’air sérieux et préoccupé de sa figure en indiquait davantage. Elle avait, comme toutes ces demoiselles, une robe brune et un petit col uni ; mais ses traits ne ressemblaient nullement aux leurs : ils étaient à la fois