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égale, que dis-je ? son idole ; qu’il faudra passer le reste de cette vie odieuse avec une créature incapable de comprendre vos paroles, d’apprécier vos pensées, de partager vos sentiments et vos souffrances.

« Zoraïde est instruite ; elle a du tact, du jugement, du caractère, de la discrétion… Si elle n’avait pas de cœur ? Cependant quel bon sourire jouait sur ses lèvres quand elle m’a donné cette branche de lilas ! J’ai quelquefois pensé, il est vrai, qu’elle était fausse, rusée, intéressée ; mais ce que j’ai pris pour de l’astuce et de la dissimulation, ne peut-il pas être l’effort d’un caractère plein de douceur, pour traverser avec calme les difficultés de la vie ? Quant à l’intérêt… elle désire certainement faire ses affaires ; mais qui peut l’en blâmer ? Alors même que ses principes manqueraient de solidité, ce ne serait vraiment pas sa faute ; si, au lieu d’être catholique, on en eût fait une protestante, n’aurait-elle pas pu allier la droiture et la probité la plus sévère à toutes ses perfections ? Supposons qu’elle épouse un Anglais, ne reconnaîtra-t-elle pas bientôt, avec le tact et l’intelligence dont la nature l’a douée, la supériorité de ce qui est juste et honnête sur les plus habiles stratagèmes ? Il serait digne d’un homme de cœur de tenter cette expérience ; demain je poursuivrai le cours de mes observations. Elle voit que j’épie tous ses mouvements ; comme elle supporte cet examen avec calme ! elle paraît en être plus contente que fâchée. »

Une mélodie jetée dans l’air vint suspendre ce monologue. C’était un cor de chasse dont on sonnait habilement dans le voisinage du parc. À cette heure de la nuit et sous les rayons paisibles de ce beau clair de lune, les sons adoucis par l’éloignement produisaient un effet si puissant que j’arrêtai ma pensée, afin de mieux les entendre ; ils s’éloignèrent, s’affaiblirent peu à peu et ne tardèrent pas à s’éteindre, laissant mon