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conviction une joie intérieure qui lui faisait oublier les soucis inséparables de sa profession, et lui donnait une égalité de caractère, une sérénité de visage que rien ne semblait pouvoir troubler. Elle aimait, en entrant dans la classe (qui ne l’aurait pas aimé comme elle ?), à sentir qu’il suffisait de sa présence pour apaiser le tumulte, alors que les reproches et les cris des sous-maîtresses ne parvenaient pas même à se faire entendre des élèves ; elle jouissait du contraste qu’elle formait avec son entourage, et prenait plaisir à se voir décerner la palme que personne auprès d’elle ne pouvait lui disputer (les trois sous-maîtresses étaient laides). Remplie de tact et d’habileté, elle savait si bien distribuer les récompenses, dispenser les éloges, abandonnant à ses subalternes la tâche ingrate de blâmer et de punir, qu’on la regardait sinon avec tendresse, du moins avec une profonde déférence. Les sous-maîtresses ne l’aimaient pas ; mais elles lui étaient soumises parce qu’elles reconnaissaient leur infériorité. Quant aux professeurs qui venaient dans la maison, elle les dominait complètement : celui-ci par la façon adroite dont elle avait su prendre son mauvais caractère ; celui-là en flattant ses manies ; un troisième en lui faisant des compliments ; tel autre, d’une timidité reconnue, en lui imposant une certaine crainte respectueuse par une attitude sévère et un langage décisif.

Pour moi, je lui échappais encore ; elle m’observait sans cesse, employant les manœuvres les plus ingénieuses pour découvrir l’endroit sensible, et malgré ses déceptions elle persévérait toujours : tantôt elle me flattait avec délicatesse ; tantôt elle me moralisait, ou sondait jusqu’à quel point je pouvais être intéressé ; un autre jour elle affectait la faiblesse et la frivolité, sachant qu’il est des hommes qui tiennent ces défauts pour des grâces féminines ; le lendemain, se rappelant