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pouvait les diviser en deux catégories : les filles d’aventuriers que le déshonneur ou les dettes avaient chassés de leur pays et que j’appellerai Anglaises continentales ; pauvres enfants n’ayant jamais eu d’intérieur régulier ni de bons principes, encore moins de bons exemples ; partageant la vie errante de leurs pères, allant de France en Allemagne, de Prusse en Belgique et de pension en pension catholique, où elles ramassaient au hasard quelques bribes de connaissances, beaucoup de mauvaises habitudes, où elles perdaient les premières notions de morale et d’instruction religieuse qu’elles avaient pu recevoir, et les remplaçaient par une stupide indifférence pour tous les sentiments qui élèvent l’humanité. On les distinguait à leur air d’abattement habituel et maussade, triste résultat de la perte du respect de soi-même et des injures qu’elles subissaient constamment de leurs camarades papistes, qui les détestaient comme Anglaises et les méprisaient comme hérétiques.

Je n’en ai pas rencontré plus de cinq ou six de la seconde catégorie, pendant tout le temps que j’ai donné des leçons chez Mlle Reuter. Je les appellerai Anglaises insulaires, par opposition avec les précédentes. Des vêtements irréprochables sous le rapport de la propreté, mais arrangés sans soin et portés avec indifférence ; des cheveux mai peignés, si on les comparait aux chevelures pommadées et pimpantes de leurs compagnes ; une certaine roideur dans la marche en dépit d’une taille souple, des mains effilées et blanches, un visage moins régulier que celui des Belges, mais plus intelligent, des manières graves et modestes, les caractérisaient entre toutes. À la décence native qui vous frappait chez elles tout d’abord ; on distinguait au premier coup d’œil l’élève du protestantisme de l’enfant nourrie au biberon de l’Église romaine et livrée aux mains des jésuites. Elles étaient fières, ces filles d’Albion ; à la fois enviées et ri-