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sidérée au point de vue d’une complète innocence : lorsque j’arrive, elle donne un coup de coude à sa voisine, et se permet un rire étouffé d’un singulier caractère ; dès que je suis à ma place, elle fixe les yeux sur moi, elle s’efforce d’attirer mon attention par ses regards tour à tour langoureux et brillants ; et comme je suis à l’épreuve de toute cette artillerie, car nous méprisons ce qui nous est offert sans que nous l’ayons demandé, elle a recours aux soupirs, aux gémissements, et profère des sons inarticulés dans une langue inconnue ; si, en traversant la classe, je viens à passer auprès du banc qu’elle occupe, elle avance le pied afin de rencontrer le mien ; et s’il arrive que, n’ayant pas vu cette manœuvre, j’effleure de ma botte l’extrémité de son brodequin, elle étouffe un rire qui devient bientôt convulsif par la contrainte qu’elle affecte ; si au contraire j’évite le piège, elle exprime la mortification qu’elle en éprouve par des injures qu’elle grommelle en mauvais français et qu’elle m’adresse avec un épouvantable accent germanique.

Auprès d’elle est une Flamande qu’on appelle Emma Dronsart ; petite, massive, ayant l’encolure et la taille épaisses, les membres courts, le teint rouge, la peau blancbe, les traits bien faits et réguliers ; des yeux bien fendus et d’un brun clair, des cheveux châtains, les dents bien rangées ; pas beaucoup plus de quinze ans, mais la force et l’apparence d’une Anglaise de vingt ans. Ce portrait ne vous représente-t-il pas une jeune fille un peu trop ramassée, n’ayant pas d’élégance, mais l’air simple et tout rond ; une bonne personne dans toute la force du terme ? pourtant je n’ai jamais parcouru du regard cette rangée de têtes juvéniles, sans rencontrer les yeux d’Emma qui attendent les miens et qui réussissent presque toujours à les arrêter au passage, des yeux singuliers, une figure étrange, pleine