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rer de mon véritable caractère, à deviner mon côté faible, à découvrir les points saillants de ma nature, mes excentricités et mes goûts, dans l’espoir de trouver une crevasse où elle pût mettre le pied afin de s’y établir et de se rendre maîtresse de ma personne. N’allez pas croire qu’elle songeât à se faire aimer ; l’influence qu’elle voulait conquérir était tout simplement celle d’un diplomate habile qui a besoin de dominer les gens qu’il doit gouverner. J’étais désormais attaché à son établissement : il fallait bien qu’elle me connût et qu’elle cherchât à quel sentiment ou à quelle idée j’étais accessible, afin de prendre sur moi l’autorité qu’elle voulait avoir sur toutes les personnes de sa maison.

Je m’amusais de ses efforts et je prenais plaisir à retarder la conclusion qu’elle devait tirer de cet examen ; je commençais une phrase où je laissais percer une faiblesse qui éveillait son espérance, et, déployant tout à coup une fermeté qui détruisait son espoir, je voyais son regard plein de ruse passer de la joie à l’abattement. Le dîner qu’on annonça vint mettre un terme à cette petite guerre, et nous nous séparâmes sans avoir ni l’un ni l’autre remporté le moindre avantage ; il m’avait été impossible d’attaquer Mlle Reuter et j’avais manœuvré de façon à déjouer ses plans d’attaque. Je lui tendis la main en sortant, elle me donna la sienne : une main petite et blanche, mais glacée. Je cherchai ses yeux et l’obligeai à me regarder ; son visage avait repris l’expression que je lui avais trouvée en arrivant : il était calme et froid. Je partis désappointé.

» J’acquiers de l’expérience, me disais-je en revenant chez M. Pelet. Voyez cette petite femme ! ressemble-t-elle aux créatures que l’on trouve dans les livres ? À en croire les romanciers et les poëtes, la femme ne serait pétrie que de sentiments bons ou mauvais, parfois violents et toujours spontanés. En voici un