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avait coutume de le faire. Pouvez-vous me dire si M. Rochester vous a vraiment demandé de l’épouser ? Ne vous moquez pas de moi ; mais il me semble bien qu’il est entré ici, il y a cinq minutes, pour me dire que dans un mois vous seriez sa femme.

— Il m’a dit la même chose, répondis-je.

— Vraiment ! Et croyez-vous ce qu’il vous a dit ? Avez-vous accepté ?

— Oui. »

Elle me regarda avec étonnement.

« Je ne l’aurais jamais cru. C’est un homme orgueilleux, tous les Rochester l’étaient ; son père aimait l’argent, et lui-même a toujours passé pour économe. Il a l’intention de vous épouser ?

— Il me l’a dit. »

Elle me regarda, et je lus dans ses yeux qu’elle ne trouvait en moi aucun charme assez puissant pour résoudre l’énigme.

« Je ne comprends pas cela, continua-t-elle ; mais sans doute c’est vrai, puisque vous le dites. Comment tout cela s’expliquera-t-il ? je ne le sais pas. On conseille souvent l’égalité de fortune et de position ; puis il y a vingt ans de différence entre vous, il pourrait presque être votre père.

— Non, en vérité, madame Fairfax, m’écriai-je ; il n’a pas l’air de mon père le moins du monde, et ceux qui nous verront ensemble ne pourront pas le supposer un instant ; M. Rochester semble aussi jeune et est aussi jeune que certains hommes de vingt-cinq ans.

— Et c’est vraiment par amour qu’il veut vous épouser ? » me demanda-t-elle.

Je fus si blessée par sa froideur et son scepticisme, que mes yeux se remplirent de larmes.

« Je suis fâchée de vous faire de la peine, continua la veuve ; mais vous êtes si jeune et vous connaissez si peu les hommes ! je voudrais vous mettre sur vos gardes. Il y a un vieux dicton qui dit que tout ce qui brille n’est pas or, et je crains qu’il n’y ait là-dessous quelque chose que ni vous ni moi ne pouvons deviner.

— Comment ! suis-je donc un monstre ? m’écriai-je. Est-il impossible que M. Rochester ait une affection sincère pour moi ?

— Non, vous êtes très bien et vous avez même gagné depuis quelque temps ; je crois que M. Rochester vous aime ; j’ai toujours remarqué que vous étiez sa favorite ; souvent j’ai souffert pour vous de cette préférence si marquée, et j’aurais désiré pouvoir