homme petit, froid et laid ? Est-ce un de ces hommes dont la bonté consiste plutôt à ne pas avoir de vices qu’à posséder des vertus ?
— Il est d’une infatigable activité ; le but de sa vie est d’accomplir des actes grands et nobles.
— Mais sa tête est probablement faible. Il veut le bien, mais on ne peut s’empêcher de hausser les épaules en l’entendant parler.
— Il parle peu, monsieur, mais ce qu’il dit en vaut toujours la peine. Sa tête est très forte ; son esprit inflexible, mais vigoureux.
— Alors c’est un homme remarquable ?
— Oui, vraiment remarquable.
— Instruit ?
— Saint-John est accompli et profondément instruit.
— Ne m’avez-vous pas dit que ses manières ne vous plaisaient pas ? Il est probablement sermonneur et suffisant ?
— Je n’ai jamais parlé de ses manières ; mais si elles ne me plaisent pas, c’est que j’ai très mauvais goût : car elles sont polies, calmes et douces.
— J’ai oublié ce que vous m’avez dit de son extérieur. C’est probablement quelque rude ministre à moitié étranglé dans sa cravate blanche et perché sur les épaisses semelles de ses souliers ; n’est-ce pas ?
— Saint-John s’habille bien ; il est grand et beau ; ses yeux sont bleus et son profil grec.
— Le diable l’emporte ! » dit-il à part. Puis, s’adressant à moi, il ajouta : « L’aimiez-vous, Jane ?
— Oui, monsieur Rochester, je l’aimais ; mais vous me l’avez déjà demandé. »
Je vis bien ce qu’éprouvait M. Rochester ; la jalousie s’était emparée de lui et le mordait cruellement ; mais la morsure était salutaire : elle l’arrachait à sa douloureuse mélancolie. Aussi, je ne voulus pas éloigner immédiatement le serpent.
« Peut-être ne désirez-vous pas rester plus longtemps sur mes genoux, mademoiselle Eyre ? » me dit M. Rochester.
Je ne m’attendais pas à cette observation.
« Pourquoi pas, monsieur Rochester ? répondis-je.
— Après le tableau que vous venez de me faire, vous trouvez probablement le contraste bien grand. Vous m’avez dépeint un gracieux Apollon. Il est présent à votre imagination, grand, beau, avec ses yeux bleus et son profil grec. Votre regard repose sur un Vulcain, un véritable forgeron, brun, aux larges épaules, aveugle et estropié par-dessus le marché.