Mlle Eyre est-elle levée ? Allez lui demander si elle a besoin de quelque chose, et quand elle descendra. »
Je descendis lorsque je pensai qu’il était l’heure de déjeuner. J’entrai très doucement dans la chambre où se trouvait M. Rochester, et je pus le regarder avant qu’il me sût là. Je fus attristée en voyant cet esprit vigoureux subjugué par un corps infirme. Il était assis sur sa chaise ; bien qu’il fût tranquille, il ne dormait pas. Évidemment, il attendait. Ses traits accentués étaient empreints de cette douleur qui leur était devenue habituelle. On eût dit une lampe éteinte qui attend qu’on la rallume. Mais, hélas ! ce n’était plus lui qui pouvait rallumer la flamme de son expression ; il avait besoin d’un autre pour cela. Je voulais être gaie et joyeuse ; mais l’impuissance de cet homme jadis si fort me toucha jusqu’au fond du cœur. Cependant je m’approchai de lui avec autant de vivacité que possible.
« Voilà une belle journée, monsieur, dis-je ; la pluie a cessé et a été remplacée par un brillant soleil. Vous allez bientôt venir vous promener. »
J’avais réveillé la flamme de son visage ; ses traits rayonnèrent.
« Ah ! vous voilà, ma joyeuse alouette, s’écria-t-il. Venez à moi ; vous n’êtes pas partie ; vous n’avez pas disparu. Il y a une heure, j’ai entendu une de vos sœurs chanter dans les bois. Mais pour moi, son chant n’avait pas d’harmonie, de même que le soleil levant n’a pas de rayon pour moi ; mon oreille est insensible à toutes les mélodies de la terre, et n’aime que la voix de ma Jane. Heureusement qu’elle se fait souvent entendre. Sa présence est le seul rayon qui puisse me réchauffer. »
Les larmes me vinrent aux yeux en entendant cet aveu de son impuissance : on eût dit un aigle royal enchaîné et qui se voit forcé de demander à un moineau de lui apporter sa nourriture. Mais je ne voulais pas pleurer. Je m’essuyai rapidement les yeux, et je me mis à préparer le déjeuner.
La plus grande partie de la matinée fut passée en plein air. Je conduisis M. Rochester hors du bois triste et humide, dans des champs gais à voir. Je lui décrivis le feuillage d’un beau vert brillant, les fleurs et les haies rafraîchies, le ciel bleu et éblouissant. Je cherchai une place dans un joli endroit bien ombragé ; il se mit sur un tronc d’arbre, et je ne refusai pas de m’asseoir sur ses genoux. Pourquoi l’aurais-je refusé, puisque tous deux nous étions plus heureux près l’un de l’autre que séparés ? Pilote se coucha à côté de nous. Tout était tranquille. M’entourant de ses bras, il rompit subitement le silence.