heure du jour pour ceux que les tentations du monde ou de la chair ont entraînés loin du droit chemin ; il supplia l’Éternel d’arracher un tison à la fournaise ardente. Il y a toujours quelque chose d’imposant dans une semblable véhémence. Je fus d’abord étonnée de sa prière ; mais, lorsque je le vis continuer et s’animer, je fus touchée et enfin saisie de respect. Il sentait si bien ce qu’il y avait de grand et de bon dans son dessein, que ceux qui l’entendaient ne pouvaient pas sentir autrement que lui.
La prière achevée, nous prîmes congé de lui. Il devait partir le lendemain de très bonne heure. Après l’avoir embrassé, Diana et Marie quittèrent la chambre : il me sembla qu’il le leur avait demandé tout bas. Je lui tendis la main et je lui souhaitai un bon voyage.
« Merci, Jane, me dit-il ; je reviendrai dans une quinzaine de jours ; je vous laisse encore ce temps-là pour réfléchir. Si j’écoutais l’orgueil humain, je ne vous parlerais plus de mariage ; mais je n’écoute que mon devoir, et je n’ai en vue que la gloire de Dieu. Mon maître a été patient, je le serai aussi. Je ne veux pas vous laisser à votre perdition comme un vase de colère ; repentez-vous pendant qu’il en est encore temps. Rappelez-vous qu’il nous est commandé de travailler tant que le jour dure ; car la nuit approche, où aucun homme ne pourra plus travailler. Souvenez-vous du sort de ceux qui veulent avoir toutes leurs joies sur la terre. Dieu vous donne la force de choisir cette richesse que personne ne pourra vous enlever ! »
Il posa sa main sur ma tête en prononçant ces derniers mots. Il avait parlé avec véhémence et douceur. Son regard n’était certainement pas celui d’un amant qui contemple sa maîtresse, mais celui d’un pasteur qui rappelle sa brebis errante, ou plutôt celui d’un ange gardien surveillant l’âme qui lui a été confiée. Tous les hommes de talent, que ce soient des hommes de sentiment ou non, des prêtres zélés ou des despotes, pourvu toutefois qu’ils soient sincères, ont leurs moments sublimes lorsqu’ils règnent et soumettent. Je sentis pour Saint-John une vénération si forte que je me trouvai tout à coup arrivée au point que j’évitais depuis si longtemps. Je fus tentée de cesser toute lutte, de me laisser entraîner par le torrent de sa volonté, de m’engloutir dans le gouffre de son existence et d’y sacrifier ma vie. Il me dominait presque autant que m’avait autrefois dominée M. Rochester, pour une cause différente ; dans les deux cas, j’étais folle. Céder autrefois eût été manquer aux grands principes ; céder maintenant eût été une erreur de