n’avez jamais vu un vent plus vif. Vous feriez mieux, monsieur, de lui dire que vous irez demain matin. »
Mais Saint-John était déjà dans le corridor, occupé à mettre son manteau ; il partit sans une objection, sans un murmure. Il était neuf heures ; il ne revint qu’à minuit, fatigué et affamé, mais avec une figure plus heureuse que quand il était parti : il avait accompli un devoir, fait un effort ; il se sentait assez fort pour agir et se vaincre ; il était plus satisfait de lui-même.
Je crois bien que pendant toute la semaine suivante sa patience fut souvent à l’épreuve. C’était la semaine de Noël ; elle ne fut employée à aucun travail régulier et se passa dans une joyeuse dissipation domestique. L’air des marais, la liberté dont on jouit chez soi, et l’heureux événement qui venait d’arriver, tout enfin agissait sur Diana et Marie comme un élixir enivrant ; elles étaient gaies du matin au soir, elles parlaient toute la journée, et ce qu’elles disaient était spirituel, original, et avait tant de charme pour moi, que rien ne me faisait plus de plaisir que de les écouter et de prendre part à leur conversation. Saint-John ne cherchait pas à réprimer notre vivacité ; mais il nous évitait ; il était rarement à la maison ; sa paroisse était grande et les habitants éloignés les uns des autres ; toute la journée il visitait les pauvres et les malades.
Un matin à déjeuner, Diana, après être demeurée pensive pendant quelque temps, lui demanda s’il n’avait pas renoncé à ses projets.
« Non, répondit-il, et rien ne m’y fera renoncer. »
Il nous apprit alors que son départ était définitivement fixé pour l’année suivante.
« Et Rosamonde Oliver ? » dit Marie.
Ces mots semblaient lui être échappés involontairement ; car, à peine les eut-elle prononcés, qu’elle fit un geste comme si elle eût voulu les rétracter.
Saint-John tenait un livre à la main : il avait l’habitude peu aimable de lire à table ; il le ferma et nous regarda.
« Rosamonde Oliver, dit-il, va se marier à M. Granby, un des plus estimables habitants de S***. C’est le petit-fils et l’héritier de sir Frédéric Granby ; M. Oliver m’a appris cette nouvelle hier. »
Ses sœurs se regardèrent ; puis leurs yeux se fixèrent sur moi ; alors, toutes les trois, nous nous mîmes à contempler Saint-John : il était aussi serein et aussi froid que le cristal.
« Ce mariage a été arrangé bien vite, dit Diana ; ils ne peuvent pas se connaître depuis longtemps.
— Depuis deux mois seulement ; ils se sont rencontrés en octobre