une retraite qui servirait de barrière entre elle et le monde frivole. Je lui demandai si Georgiana l’accompagnerait.
Certainement non. Georgiana et elle n’avaient jamais eu et n’avaient encore rien de commun ; pour aucune raison, elle n’aurait voulu supporter l’ennui de sa compagnie ; Georgiana devait suivre sa route et Éliza la sienne.
Le temps que Georgiana ne passait pas à m’ouvrir son cœur, elle restait étendue sur un sofa, à déplorer la tristesse qui régnait dans la maison et à désirer que sa tante Gibson lui envoyât une invitation pour aller à la ville. « Il vaudrait bien mieux pour moi, disait-elle, passer un ou deux mois hors d’ici jusqu’à ce que tout fût fini. » Je ne lui demandai pas ce qu’elle voulait dire par ces mots ; mais je pense qu’elle faisait allusion à la mort prochaine de sa mère et au service funèbre. Éliza ne s’inquiétait généralement pas plus des plaintes et de l’indolence de sa sœur que si elle n’eût pas existé. Un jour cependant, après avoir achevé ses comptes et pris sa broderie elle interpella sa sœur de la manière suivante :
« Georgiana, certainement jamais animal plus vain et plus absurde que vous n’a eu permission d’embarrasser la terre ; vous n’aviez aucune raison pour naître, car vous ne vous servez pas de la vie. Au lieu de vivre pour vous, en vous et avec vous, comme devrait le faire toute créature raisonnable, vous ne cherchez qu’à appuyer votre faiblesse sur la force de quelque autre ; si personne ne veut se charger d’une créature lourde, impuissante et inutile, vous criez que vous êtes maltraitée, négligée et misérable ; l’existence pour vous doit être sans cesse variée et remplie de plaisirs, sans cela vous trouvez que le monde est une prison ; il faut que vous soyez admirée, courtisée, flattée ; vous avez besoin de musique, de danse et de monde, ou bien vous devenez languissante ! N’êtes-vous pas capable d’adopter un système qui rendrait impuissants les efforts de la volonté des autres ? Prenez une journée, divisez-la en plusieurs parties, appropriez un travail quelconque à chacune de ces parties, n’ayez pas un quart d’heure, dix minutes, cinq minutes même qui ne soient employées ; que chaque chose soit faite à son tour, avec méthode et régularité, et vous arriverez à la fin de la journée sans vous en apercevoir ; vous ne serez redevable à personne de vous avoir aidée à passer le temps, vous n’aurez demandé à personne sa compagnie, sa conversation ou sa sympathie ; en un mot, vous aurez vécu comme devrait vivre tout être indépendant ! Écoutez ce conseil, le premier et le dernier que vous recevrez jamais de moi, et alors, quoi qu’il arrive,