Page:Brontë - Jane Eyre, II.djvu/151

Cette page a été validée par deux contributeurs.

grande ville éloignée de vingt milles environ) cette après-midi. Mon père m’a dit que vous aviez ouvert votre école, et que la nouvelle maîtresse était arrivée. Alors, après le thé, je me suis habillée et je suis descendue dans la vallée pour la voir, la voilà ? demanda-t-elle en m’indiquant.

— Oui, répondit Saint-John.

— Pensez-vous vous habituer à Morton ? me demanda-t-elle d’un ton simple, naïf et direct, qui, bien qu’enfantin, me plaisait.

— J’espère que oui, répondis-je ; j’ai plusieurs raisons pour le croire.

— Avez-vous trouvé vos écolières aussi attentives que vous l’espériez ?

— Oui.

— Votre maison vous plaît-elle ?

— Beaucoup.

— L’ai-je gentiment meublée ?

— Très gentiment.

— Ai-je fait un bon choix en prenant Alice Wood pour vous aider ?

— Oui, certainement ; elle est adroite et apprend bien. »

Je pensais que cette jeune fille devait être Mlle Oliver, l’héritière favorisée également par la fortune et par la nature. Je me demandais quelle heureuse combinaison de planètes avait présidé à sa naissance.

« Je viendrai de temps en temps vous aider, ajouta-t-elle ; ce sera une distraction pour moi de vous visiter quelquefois ; j’aime les distractions. Monsieur Rivers, si vous saviez comme j’ai été gaie pendant mon séjour à S***. Hier, j’ai dansé jusqu’à deux heures du matin. Le régiment de… est stationné à S*** depuis les émeutes ; les officiers sont les hommes les plus agréables du monde ; comme ils font honte à nos aiguiseurs de couteaux et à nos marchands de ciseaux ! »

Il me sembla voir M. Rivers avancer sa lèvre inférieure et relever sa lèvre supérieure. Il est certain que sa bouche se comprima et que le bas de son visage prit une expression plus sombre et plus triste que jamais, lorsque la joyeuse jeune fille lui parla du bal. Il cessa de regarder les marguerites et leva sur elle un regard sévère, scrutateur et significatif. Elle y répondit par un second sourire qui allait bien à sa jeunesse, à sa fraîcheur et à ses yeux brillants.

La jeune fille, voyant Saint-John redevenu muet et froid, se remit à caresser Carlo.