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c’est beau, noble et chrétien ; mais cela me brise le cœur ! » Les larmes coulèrent de ses yeux.

Marie pencha sa tête sur son ouvrage.

« Nous n’avons plus de père, et bientôt nous n’aurons plus ni maison ni frère, murmura-t-elle. »

À ce moment il arriva un petit accident qui semblait fait exprès pour prouver la vérité de ce dicton qu’un malheur n’arrive jamais seul, et pour ajouter à leur tristesse la contrariété que causerait une branche placée entre la coupe et les lèvres. Saint-John passait devant la fenêtre en lisant une lettre ; il entra.

« Notre oncle John est mort, » dit-il.

Les deux sœurs semblèrent frappées, mais ni étonnées ni attristées ; elles paraissaient regarder cette nouvelle plutôt comme importante que comme affligeante.

« Mort ? répéta Diana.

— Oui. »

Elle fixa un œil inquisiteur sur son frère.

« Eh bien ! murmura-t-elle à voix basse.

— Eh bien ! Diana, reprit-il en conservant la même immobilité de marbre, eh bien ! rien. Lisez. »

Il lui jeta une lettre qu’elle tendit à Marie après l’avoir parcourue. Marie la lut et la rendit à son frère ; tous les trois se regardèrent et sourirent d’un sourire triste et pensif.

« Amen ! dit Diana ; nous pourrons encore vivre néanmoins.

— En tout cas, notre situation n’est pas pire qu’avant, remarqua Marie.

— Seulement, dit M. Rivers, la peinture de ce qui aurait pu être contraste bien vivement avec ce qui est. »

Il plia la lettre, la mit dans son pupitre et sortit.

Pendant quelques minutes personne ne parla ; enfin, Diana se tourna vers moi.

« Jane, dit-elle, vous devez vous étonner de nos mystères et nous trouver bien durs en nous voyant si peu attristés par la mort d’un parent aussi proche qu’un oncle ; mais nous ne le connaissions pas, nous ne l’avions jamais vu. C’était le frère de ma mère ; mon père et lui s’étaient fâchés il y a longtemps. C’est d’après son avis que mon père a lancé presque tout ce qu’il possédait dans la spéculation qui l’a ruiné. Il en était résulté des reproches mutuels ; tous deux s’étaient séparés irrités l’un contre l’autre et ne s’étaient jamais réconciliés. Plus tard, mon oncle fit des affaires heureuses. Il paraît qu’il a réalisé une fortune de vingt mille livres sterling ; il ne s’est jamais marié et