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suffisamment, par Mlle Oliver, propriétaire de la fonderie et de la manufacture d’aiguilles de la vallée. La même jeune fille payera pour l’éducation et l’habillement d’une orpheline de la manufacture, à condition que celle-ci aidera dans le service de la maison et de l’école la maîtresse, dont une grande partie du temps sera pris par l’enseignement. Voulez-vous être cette maîtresse ? »

Il me fit cette question rapidement, et semblait s’attendre à me voir rejeter son offre avec indignation ou du moins avec dédain. Bien qu’il devinât quelquefois mes pensées et mes sentiments, il ne les connaissait pas tous ; il ne pouvait pas savoir de quel œil je verrais cette place. Elle était humble, à la vérité, mais elle était cachée, et, avant tout, il me fallait un asile sûr. C’était une position fatigante, mais qui était indépendante, comparée à celle d’une institutrice dans une famille riche, et mon cœur se serrait à la pensée d’une servitude chez des étrangers. La place qu’on m’offrait n’était ni vile, ni indigne, ni dégradante. Je fus bientôt décidée.

« Je vous remercie de votre offre, monsieur Rivers, dis-je, et je l’accepte de tout mon cœur.

— Mais vous me comprenez bien, reprit-il : c’est une école de village ; vos écolières seront des petites filles pauvres, des enfants de paysans, tout au plus des filles de fermiers ; vous n’aurez à leur apprendre qu’à tricoter, à coudre, à lire et à compter. Que ferez-vous de vos talents ? Que ferez-vous de ce qu’il y a de plus développé en vous, les sentiments, les goûts ?

— Je les renfermerai en moi jusqu’à ce qu’ils me soient nécessaires ; ils se garderont bien.

— Alors vous savez à quoi vous vous engagez ?

— Oui.

Il sourit ; son sourire n’était ni triste ni amer, mais plutôt heureux et profondément satisfait.

« Et quand voudrez-vous entrer en fonctions ?

— J’irai voir la maison demain, et, si vous le permettez, j’ouvrirai l’école la semaine prochaine.

— Très bien, je ne demande pas mieux. »

Il se leva et se promena dans la chambre ; puis, s’arrêtant, il me regarda et secoua la tête.

« Que désapprouvez-vous, monsieur ? demandai-je.

— Vous ne resterez pas longtemps à Morton ; non, non !

— Pourquoi ? Quelle raison avez-vous de le penser ?

— Je le lis dans vos yeux ; ils annoncent une nature qui ne pourra pas accepter longtemps la même vie monotone.