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quitté la pension, cherchèrent à se placer comme gouvernantes, car on leur avait dit que leur père avait perdu beaucoup d’argent par suite d’une banqueroute, qu’il n’était pas assez riche pour leur donner de la fortune, qu’il leur faudrait se tirer d’affaire elles-mêmes. Pendant longtemps elles ne sont restées que très peu à la maison. Ces temps-ci, elles sont venues y passer quelques semaines à cause de la mort de leur père. Elles aiment beaucoup Marsh-End, Morton, les rochers de granit et les montagnes environnantes. Bien qu’elles aient habité Londres, et plusieurs autres grandes villes, elles disent toujours qu’il n’y a rien de tel que le pays où l’on est né. Et puis, elles sont si bien ensemble ! elles ne se disputent jamais ; c’est la famille la plus unie que je connaisse. »

Ayant achevé d’éplucher mes groseilles, je demandai où étaient les deux jeunes filles et leur frère.

« Ils ont été faire une promenade à Morton, me répondit-elle, mais ils seront de retour dans une demi-heure pour prendre le thé. »

Ils revinrent, en effet, à l’heure indiquée par Anna ; ils entrèrent par la cuisine. Lorsque M. Saint-John me vit, il me salua simplement, et continua son chemin. Les deux jeunes filles s’arrêtèrent : Marie m’exprima, en quelques mots pleins de bonté et de calme, le plaisir qu’elle avait à me voir en état de descendre ; Diana me prit la main et pencha sa tête vers moi.

« Avant de vous lever, vous auriez dû me demander permission, me dit-elle ; vous êtes encore bien pâle et bien faible. Pauvre enfant ! pauvre jeune fille ! »

La voix de Diana me rappela le roucoulement de la tourterelle ; son regard me charmait, et j’aimais à le rencontrer. Tout son visage était rempli d’attrait pour moi. La figure de Marie était aussi intelligente, ses traits aussi jolis ; mais son expression était plus réservée ; ses manières, quoique douces, étaient moins familières. Il y avait une certaine autorité dans le regard et dans la parole de Diana ; évidemment, elle avait une volonté. Il était dans ma nature de me soumettre avec plaisir à une autorité semblable à la sienne ; lorsque ma conscience et ma dignité me le permettaient, j’aimais à plier sous une volonté active.

« Et que faites-vous ici ? continua-t-elle ; ce n’est pas votre place. Marie et moi nous nous tenons quelquefois dans la cuisine, parce que chez nous nous aimons à être libres jusqu’à la licence ; mais vous, vous êtes notre hôte. Entrez dans le salon.

— Je suis très bien ici.