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— Est-elle malade, ou a-t-elle seulement faim ?

— Elle a faim, je crois. Anna, est-ce du lait que je vois là ? Donnez-le-moi avec un morceau de pain. »

Diana (je la reconnaissais à cause de ses longues boucles que je vis flotter entre moi et le feu au moment où elle se pencha de mon côté), Diana rompit un peu de pain, le trempa dans le lait et l’approcha de mes lèvres ; sa figure était près de la mienne ; ses traits exprimaient de la pitié et sa respiration haletante annonçait de la sympathie. Lorsqu’elle me dit : « Essayez de manger », je sentis dans ces simples paroles une émotion qui fut pour moi comme un baume salutaire.

« Oui, essayez, » répéta doucement Marie.

Et, après m’avoir retiré mon chapeau, elle me souleva la tête. Je mangeai ce qu’elles m’offraient, faiblement d’abord, puis avec ardeur.

« Pas trop à la fois ; contenez-la, dit le frère. Elle en a assez. »

Et il retira le lait et le pain.

« Encore un peu, Saint-John ; regardez comme ses yeux expriment l’avidité.

— Pas à présent, ma sœur ; voyez si elle peut parler maintenant ; demandez-lui son nom. »

Je sentis que je pouvais parler et je répondis :

« Je m’appelle Jane Elliot. »

Craignant, comme toujours, d’être découverte, j’avais résolu de prendre ce nom.

« Et où demeurez-vous ? où sont vos amis ? »

Je restai silencieuse.

« Pouvons-nous envoyer chercher quelqu’un que vous connaissiez ? »

Je secouai la tête.

« Quels détails avez-vous à donner sur votre position ? »

Maintenant que j’avais franchi le seuil de cette maison, que je me trouvais face à face avec ses habitants, je ne me sentais plus repoussée, errante et désavouée par le monde entier ; aussi osai-je me dépouiller de mon apparence de mendiante et reprendre à la fois mon caractère et les manières qui m’étaient naturelles. Je commençais à me reconnaître, et lorsque M. Saint-John me demanda des détails, que j’étais trop faible pour lui donner, je répondis, après une courte pause :

« Monsieur, je ne puis pas vous donner de détails ce soir.

— Mais alors, reprit-il, qu’espérez-vous donc que je ferai pour vous ?

— Rien, » répondis-je.