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En disant ces mots, il me lâcha et se contenta de me regarder. Il était plus difficile de résister à ce regard qu’à son étreinte passionnée ; mais je ne voulais pas succomber : j’avais défié sa colère, il fallait maintenant supporter sa douleur. Je me dirigeai vers la porte.

« Vous partez, Jane ? me dit-il.

— Oui, monsieur.

— Vous allez me quitter ?

— Oui.

— Vous ne reviendrez pas ? vous ne voulez pas être mon soutien, mon sauveur ? Mon amour profond, ma grande douleur, mes supplications, tout cela n’est rien pour vous ? »

Quelle inexprimable douleur dans sa voix ! combien il me fut dur de répéter avec fermeté :

« Je pars.

— Jane ! reprit-il.

— Monsieur Rochester ?

— Eh bien, partez, j’y consens ; mais rappelez-vous que vous me laissez ici dans l’angoisse. Montez dans votre chambre ; rappelez-vous tout ce que je vous ai dit, Jane ; jetez un regard sur mes souffrances, et pensez à moi. »

Il se retourna et alla se cacher le visage contre le sofa.

« Oh ! Jane ! s’écria-t-il avec un ton de douloureuse angoisse, oh ! Jane, mon espérance, mon amour, ma vie ! »

Et alors j’entendis sortir de sa poitrine un profond sanglot.

J’avais déjà gagné la porte, mais je revins sur mes pas, aussi résolue que lorsque je m’étais retirée. Je m’agenouillai près de lui ; je soulevai son visage et le dirigeai de mon côté, j’embrassai sa joue et je lissai ses cheveux avec ma main.

— Dieu vous bénisse, mon cher maître ! m’écriai-je ; Dieu vous garde de la souffrance et du mal ! puisse-t-il vous diriger, vous consoler, et vous récompenser de vos bontés passées pour moi !

— L’amour de ma petite Jane aurait été ma meilleure récompense, répondit-il ; si je ne l’obtiens pas, mon cœur est à jamais brisé ; mais Jane me donnera son amour ; elle me le donne noblement, généreusement. »

Le sang lui monta au visage, ses yeux brillèrent ; il se leva et étendit les bras : mais j’échappai à son étreinte et je quittai subitement la chambre.

« Adieu ! » cria mon cœur, lorsque je m’éloignai. — « Adieu, pour toujours ! » ajouta le désespoir.

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Cette nuit-là, je ne pensais pas dormir ; cependant, à peine