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de répondre ; mais toutes les difficultés étaient immédiatement résolues, dès qu’elles arrivaient à Mlle Burns ; elle semblait avoir retenu toute la leçon, et elle avait une réponse prête pour chaque question. Je m’attendais à voir Mlle Scatcherd louer son attention. Je l’entendis, au contraire, s’écrier tout à coup :

« Petite malpropre, vous n’avez pas nettoyé vos ongles ce matin. »

L’enfant ne répondit rien ; je m’étonnai de son silence.

« Pourquoi, pensai-je, n’explique-t-elle pas qu’elle n’a pu laver ni ses ongles ni sa figure, parce que l’eau était gelée ? »

Mais à ce moment mon attention fut détournée de ce sujet par Mlle Smith, qui me pria de lui tenir un écheveau de fil. Pendant qu’elle le dévidait, elle me parlait de temps en temps, me demandant si j’avais déjà été en pension, si je savais marquer, coudre, tricoter ; jusqu’à ce qu’elle eût achevé, je ne pus donc pas continuer à examiner la conduite de Mlle Scatcherd. Quand je retournai à ma place, elle venait de donner un ordre dont je ne saisis pas bien l’importance ; mais je vis Burns quitter immédiatement la salle, se diriger vers une petite chambre où l’on serrait les livres, et revenir au bout d’une minute, portant dans ses mains un paquet de verges liées ensemble.

Elle présenta avec respect ce fatal instrument à Mlle Scatcherd ; puis alors elle détacha son sarrau tranquillement et sans en avoir reçu l’ordre. La maîtresse la frappa rudement sur les épaules. Pas une larme ne s’échappa des yeux de la jeune fille. J’avais cessé de coudre, car à ce spectacle mes doigts s’étaient mis à trembler et une colère impuissante s’était emparée de moi. Quant à Burns, pas un trait de sa figure pensive ne s’altéra, son expression resta la même.

« Petite endurcie, s’écria Mlle Scatcherd, rien ne peut-il donc vous corriger de votre désordre ? Reportez ces verges ! »

Burns obéit. Je la regardai furtivement au moment où elle sortit de la chambre : elle remettait son mouchoir dans sa poche, et une larme brillait sur ses joues amaigries.

La récréation du soir était l’heure la plus agréable de toute la journée. Le pain et le café donnés à cinq heures, sans apaiser la faim, ranimaient pourtant la vitalité. La longue contrainte cessait ; la salle d’étude était plus chaude que le matin. On laissait le feu brûler activement pour suppléer à la chandelle, qui n’arrivait qu’un peu plus tard. La pâle lueur du foyer, le tumulte permis, le bruit confus de toutes les voix, tout enfin éveillait en nous une douce sensation de liberté.

Le soir de ce jour où j’avais vu Mlle Scatcherd battre son élève