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étoffes de soie, et commença un chapeau neuf pour la poupée de Georgiana. Elle chantait en cousant :


« Il y a bien longtemps, alors que notre vie était semblable à celle des bohémiens. »

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Jadis, j’avais souvent entendu ce chant ; il me rendait toujours joyeuse, car Bessie avait une douce voix, du moins elle me semblait telle ; mais en ce moment, bien que sa voix fût toujours aussi douce, je trouvais à ses accents une indéfinissable tristesse. Quelquefois, préoccupée par son travail, elle chantait le refrain très bas, et ces mots : « Il y a bien longtemps » arrivaient toujours comme la plus triste cadence d’un hymne funèbre. Elle passa à une autre ballade ; celle-ci était vraiment mélancolique.


« Mes pieds sont meurtris ; mes membres sont las. Le chemin est long ; la montagne est sauvage ; bientôt le triste crépuscule que la lune n’éclairera pas de ses rayons répandra son obscurité sur le sentier du pauvre orphelin.


« Pourquoi m’ont-ils envoyé si seul et si loin, là où s’étendent les marécages, là où sont amoncelés les sombres rochers ? Le cœur de l’homme est dur et les bons anges veillent seuls sur les pas du pauvre orphelin.


« Cependant la brise du soir souffle doucement ; le ciel est sans nuages, et les brillantes étoiles répandent leurs purs rayons. Dieu, dans sa bonté, accorde protection, soutien et espoir au pauvre orphelin.


« Quand même je tomberais en passant sur le pont en ruines, quand même je devrais errer, trompé par de fausses lumières, mon père, qui est au Ciel, murmurerait à mon oreille des promesses et des bénédictions, et presserait sur son cœur le pauvre orphelin.


« Cette pensée doit me donner courage, bien que je n’aie ni abri ni parents. Le ciel est ma demeure, et là le repos ne me manquera pas. Dieu est l’ami du pauvre orphelin. »


« Venez, mademoiselle Jane, ne pleurez pas, » s’écria Bessie lorsqu’elle eut fini. Autant valait dire au feu : « Ne brûle pas ; » mais comment aurait-elle pu deviner les souffrances auxquelles j’étais en proie ?

M. Loyd revint dans la matinée.