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souffle pour me parler ; les oiseaux chantaient dans les arbres, mais leurs chants ne me disaient rien.

M. Rochester posa de nouveau sa question :

« Est-ce mal, dit-il, à un homme repentant et qui cherche le repos, de braver l’opinion du monde, pour s’attacher à tout jamais cet être bon, doux et gracieux, et d’assurer ainsi la paix de son esprit et la régénération de son âme ?

— Monsieur, répondis-je, le repos du voyageur et la régénération du coupable ne peuvent dépendre d’un de ses semblables ; les hommes et les femmes meurent, les philosophes manquent de sagesse et les chrétiens de bonté. Si quelqu’un que vous connaissez a souffert et a failli, que ce ne soit pas parmi ses égaux, mais au delà, qu’il aille chercher la force et la consolation.

— Mais l’instrument, l’instrument ! Dieu lui-même qui a fait l’œuvre a prescrit l’instrument. Je vous dirai sans plus de détours que j’ai été un homme mondain et dissipé ; je crois avoir trouvé l’instrument de ma régénération dans… »

Il s’arrêta. Les oiseaux continuaient à chanter et les feuilles à murmurer ; je m’attendais presque à entendre tous ces bruits s’arrêter pour écouter la révélation : mais ils eussent été obligés d’attendre longtemps. Le silence de M. Rochester se prolongeait ; je levai les yeux sur lui, il me regardait avidement.

« Ma petite amie, » me dit-il d’un ton tout différent, et sa figure changea également : de douce et grave, elle devint dure et sardonique ; « vous avez remarqué mon tendre penchant pour Mlle Ingram ; pensez-vous que, si je l’épousais, elle pourrait me régénérer ? »

Il se leva, se dirigea vers l’autre bout de l’allée et revint en chantonnant.

« Jane, Jane, dit-il en s’arrêtant devant moi, votre veille vous a rendue pâle ; ne m’en voulez-vous pas de troubler ainsi votre repos ?

— Vous en vouloir ? oh ! non, monsieur.

— Donnez-moi une poignée de main pour me le prouver. Comme vos doigts sont froids ! ils étaient plus chauds que cela la nuit dernière, lorsque je les ai touchés à la porte de la chambre mystérieuse. Jane, quand veillerez-vous encore avec moi ?

— Quand je pourrai vous être utile, monsieur.

— Par exemple, la nuit qui précédera mon mariage, je suis sûr que je ne pourrai pas dormir ; voulez-vous me promettre de rester avec moi et de me tenir compagnie ? à vous, je pourrai