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j’étais couchée dans mon lit et que la lueur rougeâtre venait du feu. La nuit était tombée, une chandelle brûlait sur la table ; Bessie, debout au pied du lit, tenait dans sa main un vase plein d’eau, et un monsieur, assis sur une chaise près de mon oreiller, se penchait vers moi.

J’éprouvai un inexprimable soulagement, une douce conviction que j’étais protégée, lorsque je m’aperçus qu’il y avait un inconnu dans la chambre, un étranger qui n’habitait pas le château de Gateshead et qui n’appartenait pas à la famille de Mme Reed. Détournant mon regard de Bessie (quoique sa présence fût pour moi bien moins gênante que ne l’aurait été par exemple celle de Mlle Abbot), j’examinai la figure de l’étranger ; je le reconnus : c’était M. Loyd, le pharmacien. Mme Reed l’appelait quelquefois quand les domestiques se trouvaient indisposés ; pour elle et pour ses enfants, elle avait recours à un médecin.

« Qui suis-je ? » me demanda M. Loyd.

Je prononçai son nom en lui tendant la main. Il la prit et me dit avec un sourire :

« Tout ira bien dans peu de temps. »

Puis il m’étendit soigneusement, recommandant à Bessie de veiller à ce que je ne fusse pas dérangée pendant la nuit. Après avoir donné quelques indications et déclaré qu’il reviendrait le jour suivant, il partit, à mon grand regret. Je me sentais si protégée, si soignée, pendant qu’il se tenait assis sur cette chaise au chevet de mon lit ! Quand il eut fermé la porte derrière lui, la chambre s’obscurcit pour moi, et mon cœur s’affaissa de nouveau. Une inexprimable tristesse pesait sur lui.

« Vous sentez-vous besoin de sommeil, mademoiselle ? demanda Bessie presque doucement.

— Pas beaucoup, hasardai-je, car je craignais de m’attirer une parole dure ; cependant j’essayerai de dormir.

— Désirez-vous boire, ou croyez-vous pouvoir manger un peu ?

— Non, Bessie, je vous remercie.

— Alors je vais aller me coucher, car il est minuit passé ; mais vous pourrez m’appeler si vous avez besoin de quelque chose pendant la nuit. »

Quelle merveilleuse politesse ! Aussi je m’enhardis jusqu’à faire une question.

« Bessie, demandai-je, qu’ai-je donc ? suis-je malade ?

— Je suppose qu’à force de pleurer vous vous serez évanouie dans la chambre rouge. »