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Et il me fit passer de l’autre côté d’un grand lit dont les rideaux fermés cachaient une partie de la chambre ; un homme était étendu sur un fauteuil placé près du lit. Il paraissait tranquille et avait la tête appuyée ; ses yeux étaient fermés. M Rochester approcha la chandelle, et, dans cette figure pâle et inanimée, je reconnus M. Mason ; je vis également que le linge qui recouvrait un de ses bras et un de ses côtés était souillé de sang.

« Prenez la chandelle ! » me dit M. Rochester, et je le fis ; il alla chercher un vase plein d’eau, et me pria de le tenir ; j’obéis.

Il prit alors l’éponge, la trempa dans l’eau, et inonda ce visage semblable à celui d’un cadavre. Il me demanda mes sels et les fit respirer à M. Mason, qui, au bout de peu de temps, ouvrant les yeux, fit entendre une espèce de grognement ; M. Rochester écarta la chemise du blessé, dont le bras et l’épaule étaient enveloppés de bandages, et il étancha le sang qui continuait à couler.

« Y a-t-il un danger immédiat ? murmura M. Mason.

— Bah ! une simple égratignure ! ne soyez pas si abattu, montrez que vous êtes un homme. Je vais aller chercher moi-même un chirurgien, et j’espère que vous pourrez partir demain matin. Jane ! continua-t-il.

— Monsieur ?

— Je suis forcé de vous laisser ici une heure ou deux ; vous étancherez le sang comme vous me l’avez vu faire, quand il recommencera à couler ; s’il s’évanouit, vous porterez à ses lèvres ce verre d’eau que vous voyez là, et vous lui ferez respirer vos sels ; vous ne lui parlerez sous aucun prétexte, et vous, Richard, si vous prononcez une parole, vous risquez votre vie ; si vous ouvrez les lèvres, si vous remuez un peu, je ne réponds plus de rien. »

Le pauvre homme fit de nouveau entendre sa plainte ; il n’osait pas remuer. La crainte de la mort, ou peut-être de quelque autre chose, semblait le paralyser. M. Rochester plaça l’éponge entre mes mains, et je me mis à étancher le sang comme lui ; il me regarda faire une minute et me dit :

« Rappelez-vous bien : ne dites pas un mot ! »

Puis il quitta la chambre.

J’éprouvai une étrange sensation lorsque la clef cria dans la serrure et que je n’entendis plus le bruit de ses pas.

J’étais donc au troisième, enfermée dans une chambre mystérieuse, pendant la nuit, et ayant devant les yeux le spectacle d’un homme pâle et ensanglanté ; et l’assassin était séparé de moi par une simple porte ; voilà ce qu’il y avait de plus terrible :