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deux fois de suite, envoyer un pareil hurlement vers le ciel : il fallait bien se reposer, avant de renouveler un tel effort.

Le cri était parti du troisième ; il sortait de la chambre placée au-dessus de la mienne. Je prêtai l’oreille, et j’entendis une lutte, une lutte qui devait être terrible, à en juger d’après le bruit ; une voix à demi étouffée cria trois fois de suite :

« Au secours ! au secours ! Personne ne viendra-t-il ? » continuait la voix ; et pendant que le bruit des pas et de la lutte continuait à se faire entendre, je distinguai ces mots : « Rochester, Rochester, venez, pour l’amour de Dieu ! »

Une porte s’ouvrit ; quelqu’un se précipita dans le corridor ; j’entendis les pas d’une nouvelle personne dans la chambre où se passait la lutte ; quelque chose tomba à terre, et tout rentra dans le silence.

Je m’étais habillée, bien que mes membres tremblassent d’effroi. Je sortis de ma chambre ; tout le monde s’était levé, on entendait dans les chambres des exclamations et des murmures de terreur ; les portes s’ouvrirent l’une après l’autre, et le corridor fut bientôt plein ; les dames et les messieurs avaient quitté leurs lits.

« Eh ! qu’y a-t-il ? disait-on. Qui est-ce qui est blessé ? Qu’est-il arrivé ? Allez chercher une lumière. Est-ce le feu, ou sont-ce des voleurs ? Où faut-il courir ?

Sans le clair de lune on aurait été dans une complète obscurité ; tous couraient çà et là et se pressaient l’un contre l’autre, quelques-uns sanglotaient, d’autres tremblaient ; la confusion était générale.

« Où diable est Rochester ? s’écria le colonel Dent ; je ne puis pas le trouver dans son lit.

— Me voici, répondit une voix ; rassurez-vous tous, je viens. »

La porte du corridor s’ouvrit et M. Rochester s’avança avec une chandelle ; il descendait de l’étage supérieur ; quelqu’un courut à lui et lui saisit le bras : c’était Mlle Ingram.

« Quel est le terrible événement qui vient de se passer ? dit-elle ; parlez et ne nous cachez rien.

— Ne me jetez pas par terre et ne m’étranglez pas ! répondit-il ; car les demoiselles Eshton se pressaient contre lui, et les deux douairières, avec leurs amples vêtements blancs, s’avançaient à pleines voiles. Il n’y a rien ! s’écria-t-il ; c’est bien du bruit pour peu de chose ; mesdames, retirez-vous, ou vous allez me rendre terrible. »

Et, en effet, son regard était terrible ; ses yeux noirs étincelaient ; faisant un effort pour se calmer, il ajouta :

« Une des domestiques a eu le cauchemar, voilà tout ; elle est