Page:Brontë - Jane Eyre, I.djvu/211

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Il est probable que je ne comprendrais rien à leur anathème, et en tout cas je n’y ferais point attention.

— Alors vous pourriez braver l’opinion pour moi ?

— Oui, pour vous, ainsi que pour tous ceux de mes amis qui, comme vous, sont dignes de mon attachement.

— Eh bien, retournez dans le salon ; allez tranquillement vers M. Mason et dites-lui tout bas que M. Rochester est arrivé et désire le voir ; puis vous le conduirez ici et vous nous laisserez seuls.

— Oui, monsieur. »

Je fis ce qu’il m’avait demandé ; tout le monde me regarda en me voyant passer ainsi au milieu du salon ; je m’acquittai de mon message envers M. Mason, et, après l’avoir conduit à M. Rochester, je remontai dans ma chambre.

Il était tard et il y avait déjà quelque temps que j’étais couchée lorsque j’entendis les habitants du château rentrer dans leurs chambres ; je distinguai la voix de M. Rochester qui disait :

« Par ici, Mason ; voilà votre chambre. »

Il parlait gaiement, ce qui me rassura tout à fait, et je m’endormis bientôt.




CHAPITRE XX.


J’avais oublié de fermer mon rideau et de baisser ma jalousie ; la nuit était belle, la lune pleine et brillante, et, lorsque ses rayons vinrent frapper sur ma fenêtre, leur éclat, que rien ne voilait, me réveilla. J’ouvris les yeux et je regardai cette belle lune d’un blanc d’argent et claire comme le cristal : c’était magnifique, mais trop solennel ; je me levai à demi et j’étendis le bras pour fermer le rideau.

Mais, grand Dieu ! quel cri j’entendis tout à coup !

Un son aigu, sauvage, perçant, qui retentit d’un bout à l’autre de Thornfield, venait de briser le silence et le repos de la nuit.

Mon pouls s’arrêta ; mon cœur cessa de battre ; mon bras étendu se paralysa. Mais le cri ne fut pas renouvelé ; du reste, aucune créature humaine n’aurait pu répéter deux fois de suite un semblable cri ; non, le plus grand condor des Andes n’aurait pas pu,