— Non, restez un moment, et dites-moi ce qu’on fait dans le salon.
— Je pense qu’on parle de la Bohémienne.
— Asseyez-vous et racontez-moi ce qu’on en disait.
— Je ferais mieux de ne pas rester longtemps, monsieur, il est près de onze heures ; savez-vous qu’un étranger est arrivé ici ce matin ?
— Un étranger ! qui cela peut-il être ? je n’attendais personne. Est-il parti ?
— Non ; il dit qu’il vous connaît depuis longtemps et qu’il peut prendre la liberté de s’installer au château jusqu’à votre retour.
— Diable ! a-t-il donné son nom ?
— Il s’appelle Mason, monsieur ; il vient des Indes Occidentales, de la Jamaïque, je crois. »
M. Rochester était debout près de moi ; il m’avait pris la main, comme pour me conduire à une chaise : lorsque j’eus fini de parler, il me serra convulsivement le poignet ; ses lèvres cessèrent de sourire ; on eût dit qu’il avait été subitement pris d’un spasme.
« Mason, les Indes Occidentales ! dit-il du ton d’un automate qui ne saurait prononcer qu’une seule phrase ; Mason, les Indes Occidentales ! » répéta-t-il trois fois. Il murmura ces mêmes mots, devenant de moment en moment plus pâle ; il semblait savoir à peine ce qu’il faisait.
« Êtes-vous malade, monsieur ? demandai-je.
— Jane ! Jane ! j’ai reçu un coup, j’ai reçu un coup ! et il chancela.
— Oh ! appuyez-vous sur moi, monsieur.
— Jane, une fois déjà vous m’avez offert votre épaule ; donnez-la-moi aujourd’hui encore.
— Oui, monsieur, et mon bras aussi. »
Il s’assit et me fit asseoir à côté de lui ; il prit ma main dans les siennes et la caressa en me regardant ; son regard était triste et troublé.
« Ma petite amie, dit-il, je voudrais être seul avec vous dans une île bien tranquille, où il n’y aurait plus ni trouble, ni danger, ni souvenirs hideux.
— Puis-je vous aider, monsieur ? je donnerais ma vie pour vous servir.
— Jane, si j’ai besoin de vous, ce sera vers vous que j’irai. Je vous le promets.
— Merci, monsieur ; dites-moi ce qu’il y a à faire, et j’essayerai du moins.